Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/615

Cette page n’a pas encore été corrigée

bien-aimée. Non loin de la stérile Cosyra, il est une île fertile, appelé Mélitè, que viennent battre les flots de la mer de Libye. Anna s'y rend; [3, 570] les liens d'une antique hospitalité l'unissent au roi de Mélitè; c'était le riche Battus. En apprenant tant d'infortunes: "Mon royaume n'est pas grand, dit-il, mais je vous l'offre tout entier." Et sans doute il se fût montré jusqu'à la fin hôte généreux et fidèle, sans la crainte que lui inspira la puissance de Pygmalion. [3, 575] Le soleil parcourut deux fois les signes célestes; mais à la troisième année, les exilées durent chercher un autre asile. Un frère a paru les armes à la main. "Nous ne saurions résister, dit le roi Battus, que l'idée d'une guerre épouvante; Anna, fuyez, si vous voulez sauver vos jours." Elle obéit, elle fuit et abandonne son navire au caprice des vents et des flots; [3, 580] la mer la plus terrible est moins à craindre pour elle que la haine d'un frère.

Non loin du Crathis, qui roule sur un lit de cailloux ses eaux poissonneuses, il est une plaine immense que les habitants appellent Camérè. C'est de ce côté que le vaisseau se dirige; déjà il n'en est plus éloigné que de neuf portées de fronde. [3, 585] Soudain les voiles tombent; à peine si l'haleine mourante des vents les agite encore: "Que la rame fende les ondes," dit le pilote. Taudis qu'on se dispose à replier, à rattacher les voiles, une bourrasque du Notus vient frapper la poupe recourbée; malgré les efforts de celui qui tient le gouvernail, [3, 590] on est emporté dans la haute mer; la terre qu'on avait aperçue disparaît, les flots bondissent, la mer est bouleversée jusqu'au fond de ses abîmes, le vaisseau absorbe dans ses flancs les vagues écumeuses. L'art est vaincu par la tempête; le pilote renonce à lutter encore, et n'espère plus que dans ses prières; lui aussi appelle les dieux à son secours. [3, 595] L'exilée de Tyr est ballottée sur la surface des ondes soulevées; elle cache dans ses vêtements son visage tout baigné de pleurs. Alors pour la première fois, Didon, sa soeur, lui semble heureuse, et toutes celles dont la dépouille repose au sein de la terre. Le vaisseau emporté par un violent coup de vent vient échouer sur le rivage de Laurentum; à peine tous se sont-ils élancés à terre, [3, 600] qu'il s'enfonce et disparaît sous les flots. Le pieux Énée possédait alors et le royaume et la fille de Latinus; son hymen avait cimenté l'alliance des deux peuples. Tandis qu'accompagné du seul Achate, il se promène sur ces rives, présent de Lavinie, et que son pied foule la grève solitaire, [3, 605] une femme errante s'offre à lui; c'est Anna! En croira-t-il ses yeux? Qui peut l'avoir amenée dans le Latium? il doute encore. C'est Anna! s'écrie Achate, et à ce nom elle a levé la tête: où fuir, où se cacher? Que ne peut-elle s'abîmer dans les profondeurs de la terre? [3, 610] Toute la destinée d'une soeur infortunée se retrace à sa mémoire. Le fils de