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Le jour suivant amène la fête des Caristia, qui doit son nom à nos affections domestiques: c'est le jour où viennent prendre part à un même festin tous les membres d'une même famille. Après avoir honoré la sépulture des siens, après avoir donné un souvenir à ceux que nous avons perdus, [2, 620] il est doux de se rapprocher aussitôt de ceux que nous possédons; après avoir pleuré ceux qui ne sont plus, nos yeux aiment à se reposer sur ceux qui survivent, et à compter combien de parents il nous reste encore.

Venez, vous tous qui êtes sans reproche; mais loin d'ici le frère impie et la mère cruelle envers le fruit de ses entrailles, [2, 625] et le fils qui compte les années de sa mère, et trouve que son père tarde bien à mourir, et l'injuste marâtre qui fait sentir le poids de sa haine à la fille de son époux; loin d'ici la race de Tantale, et l'épouse de Jason, et celle qui donna aux laboureurs des semences brûlées; loin d'ici Procné et sa soeur, et Térée qui fit le malheur de l'une et de l'autre, [2, 630] et tous ceux pour qui l'or est le prix du crime.

Brûlez l'encens devant les génies tutélaires de la famille. On dit que c'est le jour où la Concorde aime à répondre à nos prières. Déposez dans le vase des sacrifices les aliments que réclament vos Lares, les dieux à la ceinture nouée; mettez à leurs pieds les prémices du festin, dont l'offrande leur est agréable; [2, 635] et quand la nuit, déjà avancée, vous invitera au sommeil, prenez la coupe des libations, élevez vos mains suppliantes, et, en répandant le vin, prononcez les paroles solennelles: "Que les dieux veillent sur nous, qu'ils veillent sur toi, César, père de la patrie!"

Cette nuit passée, rendez les honneurs accoutumés à la divinité [2, 640] dont l'emblème marque les divisions de nos héritages. O Terminus, qu'on t'adore sous la forme d'un bloc de pierre, ou dans un vieux tronc d'arbre arraché du sein de la terre, tu n'en es pas moins un dieu! Les maîtres de deux champs qui se touchent te couronnent en même temps; ils t'offrent deux guirlandes et deux gâteaux sacrés. [2, 645] On dresse un autel; la femme du laboureur va chercher du feu à son âtre, et apporte quelques charbons ardents dans un têt tronqué; un vieillard fend du bois et enfonce à grande peine, dans la terre qui résiste, les pieux sur lesquels s'élève le bûcher. Tandis qu'il allume un premier feu avec des écorces sèches, [2, 650] un enfant est près de lui, tenant dans ses mains de larges corbeilles, et quand trois fois il a jeté le froment dans les flammes, sa jeune soeur présente un rayon de miel coupé dans la ruche; d'autres portent le vin des libations, et de chaque coupe on arrose le feu; la foule des assistants, vêtue de blanc, garde un religieux silence. [2, 655] Le sang d'un agneau rougit la statue du Terme commun; il ne s'offense pas, si l'on substitue à l'agneau une petite truie qui tette encore. Cependant tous les voisins sont réunis, et s'asseyent autour d'une table où s'exhale leur gaieté rustique; et puis ils célèbrent tes bienfaits, inviolable Terminus.