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Mais quand la Fortune du lieu eut levé la tête, [1, 210] quand Rome, dans sa puissance, atteignit les cieux, on vit croître à la fois les richesses et la cupidité; plus on a, plus on désire. C'est à qui amassera pour prodiguer, c'est à qui amassera pour combler le vide de ses prodigalités; et ces vicissitudes mêmes deviennent l'aliment d'une passion toujours renaissante. [1, 215] Ainsi dans cette maladie où le ventre se gonfle d'eaux intérieurement épanchées, plus on a bu, plus on veut boire encore. Aujourd'hui l'or seul a du prix, l'or donne les honneurs, donne les amis; rien pour celui qui est pauvre. Tu me demanderas peut-être si une pièce de monnaie est d'un bon augure, [1, 220] et pourquoi mes mains reçoivent avec plaisir l'airain antique? C'était l'airain qu'on m'offrait jadis; mais maintenant l'or est un plus heureux présage; l'ancien métal est vaincu, et c'est le nouveau qu'on lui préfère. Nous nous trouvons aussi très bien, nous autres, des temples d'or, tout en approuvant la simplicité des premiers âges; la magnificence rehausse le culte des dieux. [1, 225] Nous rendons justice au passé, mais nous profitons du présent. D'ailleurs chacun peut adopter à son gré l'un ou l'autre usage."

Janus avait cessé de m'instruire; du ton respectueux que j'avais conservé jusqu'alors, j'adressai ces mots au dieu porte-clef: "Vous m'avez beaucoup appris déjà, et pourtant je ne sais pas encore pourquoi, sur les pièces d'airain, [1, 230] on voit gravé d'un côté un vaisseau, de l'autre une figure à deux têtes." - "Tu pourrais, dit-il, me reconnaître dans cette double image, si la vétusté n'en avait altéré les traits. Quant à l'explication du navire, la voici: le dieu qu'on représente armé d'une faux, chassé par Jupiter du ciel, son empire, avait déjà erré dans tout l'univers, quand son vaisseau entra dans le fleuve de l'Étrurie. [1, 235] C'est dans ces contrées que je me rappelle lui avoir donné asile; c'est pourquoi, longtemps, elles portèrent le nom de Saturne, et le nom de Latium exprime également qu'un dieu était venu s'y cacher. La pieuse postérité grava un navire sur sa monnaie, [1, 240] pour consacrer le souvenir de l'hospitalité qu'un dieu avait reçue dans le pays. J'ai occupé moi-même aussi la rive gauche du Tibre, qu'il rase paisiblement de son onde sablonneuse. Là, où maintenant tu vois Rome, s'élevait une forêt vierge; et ce petit coin de terre, réservé à de si hautes destinées, nourrissait à peine quelques boeufs. [1, 245] J'avais fixé mon séjour sur la colline que ce siècle religieux a désignée par mon nom, en l'appelant Janicule. Je régnais alors que la terre supportait encore les dieux, et qu'ils pouvaient habiter au milieu des mortels. Les crimes de la race humaine n'avaient pas encore fait fuir la justice; [1, 250] de toutes les divinités, elle fut la dernière à s'éloigner. Ce n'était point alors la force ni la crainte du châtiment qui contenaient les peuples, mais la honte seule de mal faire, et tous suivaient sans trouble les simples lois de l'équité. Je n'avais rien à démêler