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des amours légitimes. Les richesses sont l'aliment de la passion luxurieuse. Pourquoi Hécalé n'eut-elle pas d'amant, et Irus de maîtresse[1] ? La première était pauvre ; le second portait la besace. La pauvreté n'a pas de quoi nourrir l'amour : ce n'est pas cependant un motif pour la désirer. Mais, ce qui vous importe du moins, c'est de ne pas vous donner le plaisir de fréquenter les théâtres, jusqu'à ce que votre coeur soit complètement rendu à la liberté. Là, les sons de la lyre, de la flûte et de la cithare, une voix harmonieuse, la danse aux mouvements cadencés, énervent l’âme ; là, vous voyez chaque jour des amants fictifs paraître sur la scène, et un acteur habile vous rappeler avec art les plaisirs que vous fuyez et ceux qui vous enchantent. Je le dis à regret, ne touchez pas aux poètes érotiques. Père dénaturé, je lance l'anathème contre mes propres enfants. Fuyez Callimaque, il n'est point ennemi de l'amour ; et toi, poète de Cos, tu n'es pas moins dangereux que Callimaque. Sapho m'a rendu plus tendre pour mon amie, et la muse du vieillard de Téos ne m'a pas donné des moeurs bien sévères[2]. Qui peut lire impunément tes vers, ô Tibulle ? ou les tiens, chantre aimable, que ta Cynthie seule inspira ? Qui peut lire Gallus et rester insensible ? Ma Muse elle-même n'a-t-elle pas je ne sais quels accords, dont la douceur vous pénètre ?

Si le dieu qui me dicte mes vers, si Apollon, ne m'abuse point, un rival est la principale cause de notre martyre. Figurez-vous donc que vous n'avez point de rival ; et croyez fermement que votre maîtresse repose seule dans son lit. Oreste n'aima si violemment Hermione, que parce qu'elle appartenait déjà à un autre. Pourquoi te plaindre, Ménélas ? Tu vas en Crète sans ton épouse ; et tu as le courage de rester longtemps éloigné d'elle ? Mais Pâris l'enlève, et, seulement alors, tu ne peux plus vivre sans elle ? L'amour d'un autre a stimulé le tien. Ce qu'Achille déplore le plus en perdant Briséis, c'est de la voir passer dans les bras du fils de Plisthène[3] ; et, croyez-moi, il ne pleurait pas sans motif. Agamemnon fit ce qu'il ne pouvait manquer de faire, à moins de tomber dans une honteuse impuissance : j'en aurais fait tout autant, car je ne suis pas plus sage que lui. Ce fut le plus grand motif de haine entre ces deux guerriers. Car, lorsqu'Agamemnon jure par son sceptre qu'il a respecté Briséis, c'est qu'il ne regarde pas son sceptre comme un dieu.

Puissiez-vous encore passer devant le seuil de votre maîtresse, après l'avoir abandonnée, sans vous arrêter et sans que vos pieds donnent un démenti à votre résolution ; et vous le pourrez si vous le voulez fermement. Mais il faut le vouloir ainsi ; il faut avancer courageusement et enfoncer l'éperon dans les flancs de votre coursier. Figurez-vous que sa demeure est le séjour des Lothophages, et l'antre

  1. Hecalen... Iron. Hécalé fut une pauvre vieille femme qui donna l'hospitalité à Thésée. Irus est le mendiant qui, à l'instigation de Pénélope se battit contre Ulysse avant que ce prince se fût fait reconnaître. Odyssée et Héroide I, v. 95.
  2. Cynthia. Cette Cynthie fut la maîtresse de Properce.
  3. Plisthenio. Agamemnon, fils de Plisthène, qui le recommanda en mourant à son frère Atrée, ainsi que Ménélas, son autre fils. Atrée les éleva tous deux comme ses propres enfants. C'est de là que ces deux princes furent appelés Atrides.