Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/261

Cette page n’a pas encore été corrigée

et mes préceptes ne feront point détendre les cordes de son arc. Mes chants sont de simples conseils ; amants, suivez-les ; et toi, Phébus, continue, comme tu l'as fait jusqu'ici, à seconder mon entreprise. Mais je suis exaucé ; j'entends la lyre de Phébus, j'entends le bruit de son carquois ; à ces insignes, je reconnais le dieu : voici Phébus ! ...

Comparez à la pourpre de Tyr une laine teinte à Amyclée[1] ; celle-ci vous paraîtra bien plus grossière ; comparez aussi votre maîtresse aux plus belles femmes, et vous rougirez bientôt de votre aveugle préférence. Junon et Pallas pouvaient toutes deux sembler belles à Pâris mais, comparées à Vénus, l'une et l'autre furent vaincues. Poussez le parallèle plus loin que les figures ; appliquez-le aussi au caractère, aux talents ; mais que l'amour, surtout, ne fausse pas votre jugement.

Écoutez encore cet avis de moindre importance ; si futile qu'il soit, bien des gens se sont applaudis de l’avoir suivi, et moi tout le premier. Gardez-vous de relire les anciennes lettres de votre maîtresse ; cette lecture dangereuse ébranle le caractère le plus ferme. Jetez-les impitoyablement au feu, quoi qu'il vous en coûte, et dites :" Que mon amour trouve là son bûcher."

La fille de Thestius brûla son fils, en livrant aux flammes le tison fatal ; et vous hésiteriez à brûler ces perfides écrits ! Si vous pouvez encore, éloignez de vos yeux le portrait de l'infidèle, pourquoi resteriez-vous enchaîné devant cette image muette ? Cette imprudence a perdu jadis Laodamie. Il est des lieux dont l'aspect vous serait nuisible. Fuyez ceux qui furent les témoins de vos plaisirs ; ils ne feraient qu'aigrir votre douleur. "C'est ici qu'elle était ; c'est là que je la vis couchée et que je dormis dans ses bras ; c'est là que, dans une nuit voluptueuse, elle mit le comble aux ravissements de mes sens." L'Amour se réveille ; la blessure se rouvre, prête à saigner encore : la moindre imprudence est fatale aux convalescents. Comme un feu presque éteint, mis en contact avec le soufre, revit, et d'abord, flamme légère, devient ensuite un incendie : de même, si vous n'évitez pas tout ce qui pourrait réveiller votre amour, sa flamme, que vous croyez assoupie, se rallumera plus impétueuse. La flotte grecque eût bien voulu fuir le promontoire de Capharée, et le fanal trompeur que tu allumas, ô vieillard ! pour venger la mort de ton fils[2] ! Le prudent nautonier se réjouit d'avoir passé le détroit de Scylla[3]. Vous, amants, détournez-vous des lieux qui vous furent trop chers. Qu'ils soient pour vous les Syrtes : évitez ces rochers Acrocérauniens[4], et le gouffre de l'affreuse Charybde, qui revomit sans cesse les flots qu'elle vient d'engloutir[5]. Il est encore d'autres remèdes dont l'emploi est difficile à prescrire, mais qui, dus au hasard, peuvent être cependant très efficaces. Que Phèdre devienne pauvre, et les jours de ton petit-fils, ô Neptune ! seront épargnés, et tu arrêteras le monstre qui épouvanta les coursiers d'Hippolyte. Réduite à la misère, Pasiphaé ne connaîtra que

  1. Amyclaeis... ahenis. Amyclée était une ville du Péloponèse, située près de l'Eurotas, où l'on teignait la laine en couleur de pourpre. Mais cette couleur, si célèbre que fût sa beauté, ne pouvait cependant soutenir la comparaison avec la pourpre de Tyr.
  2. Argolides cuperent fugisse Capharea puppes; Teque, Senex, luctus ignibus te ulte tuos. Les roches Capharées étaient situées sur le bord d'un promontoire de l'île dEubée (aujourd'hui Négrepont), du côté de la mer, où elles présentaient un écueil très dangereux. C'est là que Nauplius, père de Palamède, allumait toutes les nuits un phare, afin d'attirer les vaisseaux des Grecs qu'il voulait faire périr pour venger la mort de son fils, dont ils étaient la cause. Voyez Virgile, Énéid., liv. XI, v. 260 ; et Prop., liv. III, élég. 7, v. 39.
  3. Niseide. Scylla, fille de Nisus. Voyez Métam., VII.
  4. Syrtes... Acroceraunia. Les Syrtes sont deux golfes sur la côte d'Afrique, de profondeur inégale, mais également dangereux. Ils sont appelée ainsi du mol grec surô j'entraîne, parce que les vagues semblent y en traïner les vaisseaux. - Les monts Acrocérauniens sont ainsi nommés de deux mois grecs, akron, sommet, et keraunos foudre, parce qu'à cause de leur hauteur ils, sont souvent frappés de la foudre. Ils sont situés en Epire, sur le bord de la mec Adriatique.
  5. Charybdis. Gouffre très dangereux situé à l'entrée du détroit de Messine, qui engloutissait et revomissait les vaisseaux qui s'y étaient laissé entraîner. Son nom lui vient de Charybde, femme gloutonne qui, pour avoir dérobé les boeufs d'Hercule, fut foudroyée par Jupiter et précipitée dans la mer, où elle conserve encore son ancien naturel.