Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/258

Cette page n’a pas encore été corrigée

flots agités et le rivage couvert des débris de sa fortune ; que l'autre tremble pour son fils qui est sous les drapeaux, vous pour votre fille nubile ; qui de nous n'a pas mille sujets d'inquiétude ? Pour haïr ton Hélène, ô Pâris ! il fallait te représenter la mort tragique de tes frères." Le dieu parlait toujours, quand son image enfantine s'évanouit avec mon songe, si tant est que ce fût un songe.

Que ferai-je ? Palinure abandonne mon esquif au milieu des ondes, et je vogue entraîné sur des mers inconnues. Amants, qui que vous soyez, fuyez la solitude ; la solitude est dangereuse. Où fuyez-vous ? c'est dans la foule que vous serez plus en sûreté. Évitez l'isolement ; l'isolement aigrit la douleur ; cherchez un refuge au sein des réunions nombreuses, et vous y trouverez quelque soulagement ; vous serez triste si vous êtes seul : l'image de votre maîtresse délaissée viendra s'offrir à vos yeux ; il vous semblera voir votre maîtresse elle-même. Voilà pourquoi la nuit est plus triste que la clarté du jour ; la nuit pendant laquelle vous n'avez pas, pour vous distraire, l'agréable société de vos joyeux compagnons. Ne soyez pas taciturne, ne tenez pas votre porte fermée, et ne cachez point dans les ténèbres votre visage baigné de larmes ; ayez un Pylade qui soit toujours là pour consoler Oreste ; car alors les soins de l'amitié sont d'un puissant secours. N'est-ce pas la solitude des forêts qui mit le comble à la douleur de Phyllis ? La véritable cause de sa mort, c'est qu'elle était seule. Elle courait, pareille à une bacchante échevelée, dont les compagnes sauvages vont, tous les trois ans, sur les monts d'Aonie, célébrer le culte de Bacchus[1] ; tantôt elle portait, aussi loin qu'elle le pouvait, ses regards sur le vaste Océan ; tout épuisée de fatigue, elle s'asseyait sur la grève sablonneuse. "Perfide Démophoon ! " criait-elle aux flots insensibles, et ses plaintes étaient entrecoupées de sanglots. Souvent elle se rendait au bord de la mer par un étroit sentier couvert d'un épais ombrage, et l'infortunée venait de le parcourir pour la neuvième fois. "C'en est fait ! " dit-elle ; puis, pâlissante, elle regarde sa ceinture et les arbres de la forêt ; elle hésite, elle recule devant la pensée hardie qu'elle vient de concevoir ; elle tremble et porte ses mains à son cou. Plût au ciel, Phyllis, qu'alors tu n'eusses pas été seule ! la forêt attendrie ne se fût point dépouillée de son feuillage. Instruits par l'exemple de Phyllis, fuyez, amants trompés par vos maîtresses, belles trompées par vos amants, fuyez les lieux trop solitaires.

Docile aux conseils que lui donnait ma Muse, un jeune homme allait être guéri ; déjà même il touchait au port ; mais la vue contagieuse de quelques amants passionnés fut cause de sa rechute. L'Amour reprit ses flèches, qu'il n'avait fait que cacher. O vous qui voulez cesser d'aimer, évitez la contagion ; elle étend ses ravages

  1. Edono trieterica Baccho. Il s'agit ici des sacrifices que l'on faisait à Bacchus tous les trois ans, en mémoire de son expédition dans les Indes. L'épithète d'Edono vient du nom d'Édon, montagne de la Thrace, où le dieu était particulièrement honoré.