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Qui peut m'accuser d'être un conseiller trop sévère, lorsque mon rôle est de mettre d'accord le plaisir et la raison ? Les esprits sont divers, mes préceptes le sont aussi ; à mille sortes de maladies opposons mille sortes de remèdes ; il est des maux que guérit à peine le tranchant du fer, et d'autres qui cèdent au suc bienfaisant des herbes. Vous êtes trop faible pour prendre sur vous de vous éloigner, et, pour rompre vos chaînes ; le cruel Amour vous tient le pied sur la gorge ; cessez une lutte inégale, laissez les vents ramener votre barque, et secondez de la rame le courant qui vous entraîne. Il faut étancher cette soif qui vous suffoque et vous dévore, j'y consens ; puisez dans le fleuve à pleine coupe, et buvez outre mesure, et jusqu'à rendre l'eau que vous aurez avalée. Jouissez sans obstacle, jouissez sans interruption de votre belle ; consacrez à la servir vos nuits et vos jours. Cherchez le dégoût dans la satiété, c'est un moyen de guérison ; restez près d'elle, quand même vous croiriez pouvoir vous en éloigner ; restez jusqu'à ce que vous ayez épuisé tous les plaisirs, contracté un dégoût complet et un insurmontable désir de quitter la maison. L'amour, que nourrit la jalousie, dure longtemps ; si vous voulez le bannir, bannissez la défiance ; l'art de Machaon[1] suffirait à peine pour guérir celui qui craindrait qu'un rival ne lui enlevât sa maîtresse et n'en fit la sienne propre. Une mère aime le plus celui de ses deux fils dont l'absence l'inquiète parce qu'il porte les armes.

Il est, près de la porte Colline, un temple vénéré auquel le mont Éryx a donné son nom[2] ; là règne un dieu, l'Amour oublieux, qui guérit les coeurs malades, en plongeant sa torche ardente dans les eaux glacées du Léthé. Les amants malheureux, les jeunes filles éprises d'un objet insensible, viennent lui demander l'oubli de leurs peines ; ce dieu, était-ce bien lui en effet, ou plutôt l'illusion d'un songe ? je crois que c'était un songe ; ce dieu me parla ainsi : "O toi, qui tour à tour allumes et éteins les flammes d'un amour inquiet, Ovide, ajoute à tes conseils ceux que je t'adresse : que chacun se retrace le triste tableau de ses malheurs, et il cessera d'aimer. La Divinité nous a départi à tous plus ou moins d'infortunes. Que celui qui redoute le putéal Janus[3] et les calendes toujours trop promptes à revenir, songe au remboursement des sommes qu'il a empruntées. Que celui qui a un père dur, quand il n'aurait d'ailleurs rien à désirer, ait sans cesse devant les yeux la dureté de ce père. Marié à une femme sans dot, vous vivez avec elle dans la pauvreté, dites-vous que cette femme sans dot est un obstacle à votre bonheur ; vous avez, dans une campagne fertile, une vigne féconde en vin généreux, craignez que la grappe ne soit brûlée à sa naissance. L'un soupire après le retour d'un vaisseau ; qu'il se représente les

  1. Machaonia... ope. La médecine, du nom de Machaon, célébre médecin, fils d'Esculape.
  2. st prope Collinam. Près de la porte Colline par laquelle on se rendait au mont Quirinal, était le temple de Vénus Ërycine, ainsi nommé du mont Éryx (aujourd'hui Catafalna), en Sicile, où elle avait un temple fameux. - L'allégorie de l'oubli d'Amour, qu'Ovide représente trempant son flambeau dans une eau glacée est on ne peut plus ingénieuse.
  3. Qui Puteal Janumque timet. Le Putéal était un lieu où le préteur rendait la justice; on l'appelait ainsi d'une fosse ou d'un puits qui en était proche. Les changeurs, les courtiers et les gens d'affaires s'y réunissaient, de même que les usuriers et les marchands se rassemblaient sur la place voisine du temple de Janus, pont assigner en justice les débiteurs retardataires. Celeres Kalendas indique le retour des Calendes, trop prompt au gré des débiteurs, qui étaient obligés de payer, dans les premiers jours du mois, l'intérêt ou le capital de l'argent qu'ils avaient emprunté. Voyez Horace livre I, Sat. 3, v. 86.