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qu'un jeu, et sa flamme n’était qu'une étincelle. Mais que le fils de Vénus tende plus fortement les cordes de son arc, et ceux qu'il aura blessés viendront réclamer de plus puissants remèdes. Que dirai-je de l'amant qui se cache pour épier sa maîtresse au moment où elle paye le tribut à de sales nécessités, et voit ce que la décence la plus vulgaire nous interdit de voir ? A Dieu ne plaise que je donne jamais à personne de semblables conseils ! Fussent-ils vraiment utiles, il ne faudrait pas les mettre en usage.

Je vous conseille aussi d'avoir en même temps deux maîtresses, et si vous en avez plus, votre coeur n'en sera que plus ferme ; le coeur, volant ainsi d'une belle à une autre, ces deux amours s'affaiblissent réciproquement. Les plus grands fleuves s'amoindrissent quand leurs eaux sont divisées en plusieurs ruisseaux ; la flamme s'éteint faute du bois qui lui servait d'aliment ; une seule ancre ne suffit pas pour arrêter plusieurs vaisseaux ; et, quand on pêche à la ligne, il faut y attacher plus d'un hameçon ; l’amant qui, de longue main, s'est ménagé une double consolation a, dès ce moment, remporté une victoire éclatante. Mais vous qui vous êtes imprudemment donné à une seule maîtresse, maintenant du moins, trouvez un nouvel amour. Minos, infidèle à ses premiers feux, sacrifia Pasiphaé à Procris, et la première, épouse vaincue, céda la place à la seconde[1]. Le frère d'Amphiloque, dès qu'il eut admis Callirhoé à partager sa couche, cessa d'aimer la fille de Phégée[2]. Oenone eût pour toujours enchaîné Pâris, si elle n'eût été supplantée par l'illustre concubine lacédémonienne[3]. La beauté de Progné eût toujours captivé le coeur du tyran de Thrace, si Philomèle, qu'il tenait prisonnière, n'eût été plus belle que sa soeur[4]. Mais pourquoi m'attacher à des exemples dont la trop longue énumération me fatigue ? Toujours un nouvel amour triomphe de celui qui l'a précédé. Une mère qui a plusieurs enfants supporte plus facilement la perte de l'un d'eux que celle qui s'écrie, au milieu des sanglots : "Je n'avais que toi seul !" Et n'allez pas croire que je veuille ici vous prescrire de nouvelles lois ; plût aux dieux que je pusse réclamer la gloire de cette invention ! Le fils d'Atrée la connut avant moi, lui dont la vaste puissance s'étendait sur la Grèce entière. Il aimait sa captive Chryséis, qu'il avait obtenue pour prix de sa valeur ; mais le père de la jeune fille faisait retentir le camp de ses plaintes douloureuses. Vieillard importun, pourquoi ces larmes ? Les deux amants se conviennent ; insensé ! ta tendresse te conseille mal ; elle nuit à ta fille. Mais Calchas, protégé par le bras d'Achille, ordonna la restitution de la jeune esclave à son père, et Chryséis rentra sous le toit paternel : "Il est, dit alors Agamemnon, une autre beauté presque égale à Chryséis, et dont le nom, si l'on en retranche la première syllabe, est le même. Qu'Achille, s'il est bien inspiré, me la

  1. Ab Idaea. Épithète donnée à Procris, parce qu'elle se réfugia, disent quelques écrivains, en Crète, où était le mont Ida, près de Minos, et qu'elle épousa celui-ci, après l'avoir guéri d'un ulcère.
  2. Amphilochi... Phegida. Allusion à l'histoire d'Alcmaeon, frère d'Amphiloque et fils d'Amphiaraüs et d'Éryphile. Callirhoë fut la femme de cet Alcmaeon, qui tua sa mère Eryphile. Voyez, sur cette histoire un peu confuse, Properce et Pausanias, Histoires, VII.
  3. Et Parin Oenone. Voyez Héroïde V - L'Aebalie était le même pays que la Laconie : elle fut ainsi nommée d'Aebalus, un de ses premiers rois.
  4. Conjugis Odrysio. Allusion à Térée, qui régnait dans cette partie de la Thrace qu'on appelait l'Odrysie, du nom d'Odrysa, la capitale. Voyez Métam. VI. Sororis désigne Philomèle.