Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/254

Cette page n’a pas encore été corrigée

la fin de ma carrière est digne de son origine. Mais tu te hâtes trop : que je vive seulement, et tu auras bien des sujets de plaintes ; car mon esprit a déjà conçu une foule de nouveaux vers. La gloire est chère à mon coeur, et cet amour de la gloire aiguillonne de plus en plus mon zèle. Le coursier du poète ne respire avec peine qu'à ses premiers efforts pour gravir la double colline. L'élégie avoue qu'elle ne m'est pas moins redevable que la noble épopée à Virgile.

Je viens de répondre à l'Envie. Maintenant, poète, serre plus vigoureusement les rênes de ton coursier, et poursuis la carrière dans les limites que tu t'es assignées. Lorsque l'heure du plaisir, cette heure si douce à la jeunesse, sera prête à sonner pour vous, et que la nuit tant désirée approchera, il se peut que les transports de votre maîtresse, étreinte dans vos bras avec toute la puissance de vos forces, ne vous captivent ; je veux qu'auparavant vous cherchiez, vous trouviez une autre femme, sur laquelle vous ayez cueilli les prémices de la volupté. La sensation répétée du plaisir l'émousse ; mais, au contraire, le plaisir différé n'en a que plus de prix. Quand il fait froid, nous aimons le soleil, et, à son tour, la chaleur de cet astre nous fait désirer l'ombre. L'eau semble du nectar à la bouche altérée. Je rougis de le dire, je le dirai pourtant ; prenez dans vos ébats amoureux la posture que vous savez être la moins favorable à votre maîtresse. Rien n'est plus facile ; peu de femmes osent s'avouer la vérité, et elles se croient belles sous tous les aspects. J'exige aussi que vous ouvriez ses fenêtres, afin d'observer au grand jour toute la laideur de ses imperfections. Mais, lorsque vous avez atteint le terme de la volupté, et que votre âme et vos membres s'abattent de lassitude ; quand naît le dégoût ; quand vous voudriez n'avoir jamais touché une femme, et qu'il vous semble avoir perdu longtemps l'envie d'y revenir, choisissez ce moment pour faire l'examen de tous ses défauts, et ne cessez pas d'y attacher vos regards. Peut-être me dira-t-on, ce sont là de pauvres ressources : elles le sont, j'en conviens ; mais si, isolées, elles sont impuissantes, réunies, elles seront efficaces. La vipère est petite, et sa morsure tue un énorme taureau ; souvent un chien de taille médiocre tient le sanglier en respect. Seulement, pendant l'action, profitez de mes avis en masse ; faites-en comme un faisceau, et leur nombre imposant vous assurera la victoire. Mais, comme il existe autant de caractères que de figures différentes, il ne faut pas en tout régler votre conduite d'après mes décisions. Telle action selon vous est innocente, et pourtant, selon d'autres, elle sera blâmable. L'un, pour avoir vu toutes nues certaines parties obscènes, sentit son amour s'arrêter tout à coup au milieu de sa course ; l'autre éprouva la même répugnance parce qu'au moment où sa maîtresse quittait le lit, théâtre de leurs jouissances, il en aperçut les traces immondes. L'amour qui s'est ému de si peu de chose n'était