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liens qui vous retiennent, fuyez ; entreprenez des voyages de longue durée. La seule pensée de quitter votre amie vous fera verser des larmes, et souvent vos pas s'arrêteront au milieu du chemin ; mais plus votre coeur sera rebelle, plus votre volonté doit être ferme persistez. Si vos jambes refusaient d'avancer, forcez-les à courir. Ne craignez ni la pluie, ni la fête du Sabbat, que célèbre un peuple étranger, ni le fatal anniversaire de la journée d'Allia[1] ; ne demandez pas combien vous avez parcouru de milles, mais combien il vous en reste encore. Ne cherchez aucun prétexte pour vous arrêter plus longtemps dans un voisinage dangereux ; ne comptez point les heures ; ne tournez pas sans cesse vos regards du côté de Rome ; mais fuyez. C'est encore ainsi que le Parthe échappe aux atteintes de ses ennemis Mes préceptes, dira-t-on, sont durs ; j'en conviens, mais que ne souffre-t-on pas pour recouvrer la santé ? Malade, j'ai souvent, malgré le dégoût qu'elles m'inspiraient, pris des potions amères, et souvent l’on m'a refusé les aliments que j'implorais. Ainsi, pour guérir votre corps, vous souffrirez le fer et le feu ; vous n'oserez pas rafraîchir, avec un peu d'eau, votre bouche altérée ; et pour guérir votre âme, vous ne voudrez rien endurer ? Combien cependant cette partie de vous-même est-elle plus précieuse que le corps ! Dans l'art que j'enseigne, le début est toujours ce qui coûte le plus. Voyez comme le joug meurtrit le front des jeunes taureaux qui le sentent pour la première fois ; et comme les premières épreuves du harnais blessent le coursier agile. Peut-être, aurez-vous de la peine à quitter le foyer de vos pères : vous le quitterez cependant ; mais bientôt vous voudrez le revoir. Ce ne sont point vos dieux domestiques, c'est l'Amour qui vous rappelle, l’Amour déguisant sa faiblesse sous des paroles pompeuses. - Une fois parti, vous trouverez mille distractions ; la campagne, vos compagnons de voyage, une route longue et variée, ne manqueront pas de vous en fournir ; mais ne pensez pas qu'il suffise de vous éloigner : prolongez votre absence, jusqu'à ce que votre amour ait perdu toutes ses forces, et que le feu ne couve plus sous la cendre. Si vous hâtez votre retour, avant une entière guérison, l'Amour rebelle tournera de nouveau ses armes contre vous. Quel fruit retirerez-vous de votre absence ? Vous reviendrez plus ardent, plus passionné, et votre éloignement n'aura fait qu’aggraver votre mal. Laissez à d'autres croire que les herbes nuisibles de l'Hémonie[2] et l’art des magiciens sont une sauvegarde contre l'Amour : la ressource des sortilèges est bien usée Ma Muse, dans ses vers religieux, ne vous offrira que des secours innocents. Vous ne me verrez point évoquer les ombres des tombeaux, ni sommer une vieille sorcière de forcer, par des formules infâmes, la terre à s'entr'ouvrir, à transplanter les moissons d'un champ dans un autre, à faire pâlir tout à coup le disque du

  1. Allia. C'est le nom d'un fleuve d'Italie, qui se jette dans le Tibre, non loin de Rome et sur les bords duquel les Gaulois, sous la conduite de Brennus, taillèrent en pièces l'armée romaine. De là alliensis dies pour exprimer un jour malheureux.
  2. Haemoniae... terrae. La Thessalie, célèbre par ses plantes vénéneuses.