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plus sûr gardien, c’est sa vertu ; être chaste par crainte, ce n’est pas l’être, et celle que l’on contraint d’être fidèle ne l’est déjà plus. Grâce à ton active surveillance, son corps a pu rester intact ; son cœur est adultère. On ne saurait garder une âme malgré elle, car les verrous n’y peuvent rien. Fussent-ils tous fermés, l’adultère pénétrera chez toi : qui peut être coupable impunément, l’est moins souvent : le pouvoir de mal faire en rend le désir plus languissant. Cesse, crois-moi, de pousser au vice en le défendant ; tu en triompheras plus sûrement en usant de complaisance.

Je vis naguère un cheval indocile ; sa bouche ardente avait repoussé le frein ; il volait comme la foudre ; il s’arrêta tout à coup dès qu’il sentit les rênes flotter mollement sur son épaisse crinière. Nous convoitons toujours ce qui nous est défendu, et désirons ce qu’on nous refuse. Ainsi le malade aspire après l’eau qui lui est interdite ; Argus avait cent yeux à la tête et au front, et combien de fois le seul Amour ne le trompa-t-il point ! La pierre et l’airain rendaient impérissable la tour où Danaë fut enfermée vierge, et elle y devint mère ; Pénélope, sans être gardée, resta pure au milieu de tous ses jeunes adorateurs.

Ce qu’on veut nous soustraire excite bien plus nos désirs, et la surveillance ne fait qu’appeler le voleur : peu de gens aiment les plaisirs permis. Ce n’est point la beauté de ton épouse, c’est ton amour pour elle qui la fait rechercher ; on lui suppose je ne sais quels charmes qui te captivent. Qu’une femme gardée par son mari ne soit point vertueuse ? qu’elle soit adultère, elle est aimée. La crainte même est un aiguillon plus puissant que sa beauté. Que tu t’en indignes ou non, je n’aime que les plaisirs défendus ; celle-là seule me plaît qui peut dire : "J’ai peur." Et cependant il n’est pas permis de garder comme une esclave une femme née libre ; n’usons de cette tyrannie qu’envers les femmes des nations étrangères. Tu veux sans doute que son gardien puisse te dire : "On me le doit." Eh bien ! si ton épouse est chaste, que le mérite en soit à ton esclave. C’est n’être qu’un sot que de s’offenser de l’adultère de sa femme : c’est ne pas connaître assez les mœurs de la ville où ne sont pas nés sans crime Romulus et Rémus, ces deux fils de Mars et d’Ilia. Pourquoi l’avoir choisie belle, si tu la voulais vertueuse ? Ces deux avantages ne peuvent se trouver réunis.

Si tu m’en crois, aie un peu d’indulgence pour elle, quitte cet air sévère, et ne défends pas tes droits en rigide époux. Fais bon accueil aux amis que te donnera ton épouse, et elle t’en donnera beaucoup ; c’est ainsi qu’on obtient sans peine un grand crédit. A ce prix, tu auras ta place marquée aux festins d’une joyeuse jeunesse, et ta maison se remplira d’objets qui ne t’auront rien coûté.