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caresse la feuille des arbres, je ne crois point habiter le salubre pays des Péligniens ; je ne m’y crois point dans le domaine de mes pères, dans les lieux qui m’ont vu naître, mais plutôt dans la Scythie, chez les farouches Ciliciens, chez le Breton au visage verdâtre[1], ou bien au milieu des rochers qu’a rougis le sang de Prométhée.

L’ormeau aime la vigne, la vigne ne quitte point l’ormeau : pourquoi suis-je si souvent séparé de ma maîtresse ? Tu m’avais promis pourtant d’être ma fidèle compagne ; tu me l’avais juré et par moi-même et par tes yeux, mes astres tutélaires. Les promesses de la beauté, plus légères que la feuille qui tombe, s’envolent toujours au gré des zéphyrs et des eaux. Si cependant tu es encore sensible à mon délaissement, commence à tenir tes promesses : hâte-toi de livrer aux coursiers rapides ta litière légère, et secoue toi-même les rênes sur leur crinière flottante. Et vous, monts orgueilleux, inclinez-vous sur son passage, et ouvrez-lui un chemin facile au milieu de vos sinueuses vallées.


ÉLÉGIE XVII.

S’il est quelqu’un qui regarde comme une honte d’être l’esclave d’une belle, j’aurai, à son jugement, à rougir de cette honte-là. Que je sois donc infâme, pourvu que je sois moins cruellement traité par la déesse qui règne à Paphos et dans file de Cythère ; et plût au ciel que je fusse devenu l’esclave d’une maîtresse sensible, puisque j’étais né pour être l’esclave d’une belle. La beauté donne de l’orgueil : la beauté de Corinne la rend intraitable ; hélas ! pourquoi se connaît-elle si bien ? C’est dans les reflets de son miroir qu’elle puise sa fierté ; encore ne s’y regarde-t-elle qu’après avoir disposé ses ajustements.

Si ta beauté, trop bien faite pour enchanter mes yeux, t’assure un empire sans bornes sur tous les cœurs, tu ne dois pourtant pas, en me comparant à toi, me traiter avec mépris : l’infériorité peut s’unir à la grandeur. La nymphe Calypso, éprise d’amour pour un mortel, le retint, dit-on, malgré lui, pour en faire son époux ; une des Néréides, on le sait, eut commerce avec le roi de Phthie ; Égérie, avec le juste Numa ; Vénus, avec Vulcain, tout sale et tout boiteux qu’il est quand il quitte son enclume. Ces vers sont de grandeur inégale, et cependant le vers héroïque se marie très bien avec un vers plus court.

Toi aussi, ô mon âme ! accueille-moi à quelque condition que ce soit, et que, du haut de ta couche, il te plaise de me dicter des lois. Jamais tu ne me verras t’accuser ni me venger de ma disgrâce, et tu n’auras point à désavouer notre amour. Que mes vers heureux me tiennent lieu, auprès de toi, de grandes richesses.

  1. Alors les habitants, à moitié sauvages, de la Grande-Bretagne se peignaient le visage, comme nous l’apprend César.