Page:Ovide - Œuvres complètes, Nisard, 1850.djvu/77

Cette page n’a pas encore été corrigée

avec glaive levé pour le crime. J’approchai de ta gorge (permets-moi de t’avouer la vérité), j’approchai de ta gorge l’arme que m’avait donnée mon père ; mais la crainte et la pitié s’opposèrent à cette cruelle audace, et mon chaste bras se refusa à l’exécution d’un tel ordre. Je déchire ma poitrine, d’où coule le sang ; je m’arrache les cheveux, et je prononce ces mots à voix basse : "Tu as, Hypermnestre, un père cruel ; fais ce qu’il t’a ordonné : que ton époux accompagne ses frères. Mais je suis femme et vierge encore : mon naturel et mon âge me conseillent la douceur ; une arme sanguinaire ne convient pas à de faibles mains. N’importe ; allons, et tandis qu’il repose, imite le courage de tes sœurs : il est croyable qu’elles ont toutes égorgé leurs époux. Si cette main pouvait commettre quelque meurtre, c’est celui de sa maîtresse qui devrait l’ensanglanter. Comment ont-ils mérité la mort pour occuper, la place de leur oncle, un trône qu’il eût cependant fallu donner à des gendres étrangers ? En supposant que nos époux aient mérité la mort, qu’avons-nous fait nous-mêmes ? Quel crime ai-je déjà commis, pour qu’il ne me soit plus permis d’être vertueuse ? Qu’ai-je à faire d’un glaive ? Pourquoi des armes guerrières dans les mains d’une jeune fille ? la laine et le fuseau conviennent mieux à mes doigts.

Je parlais ainsi. Pendant ce discours plaintif, des larmes en accompagnent tous les mots, et elles tombent de mes yeux sur ton corps. Tandis que tu cherches mes embrassements, et que tu agites tes bras encore engourdis, l’arme a presque blessé ta main. Déjà je craignais et mon père, et ses serviteurs, et la lumière. Ces paroles que je prononçai chassèrent de tes yeux le sommeil : "Lève-toi, descendant de Bélus, le seul qui survives de tant de frères : cette nuit, si tu ne te hâtes, sera pour toi éternelle." Épouvanté, tu te lèves ; toute la langueur du sommeil se dissipe. Tu aperçois dans ma timide main l’arme du guerrier ; tu m’interroges : "Tandis que la nuit le permet, fuis," te dis-je. Tandis que le permettent les ténèbres de la nuit, tu fuis ; moi, je reste.

C’était le matin. Danaüs compte le nombre de ses gendres ; des victimes que le massacre a faites, tu manques seul pour compléter le crime. Il ne peut supporter l’idée qu’un seul des époux de ses filles ait échappé à la mort ; et il se plaint que si peu de sang ait coulé. On m’arrache des pieds de mon père ; on m’entraîne par les cheveux, et (tel est le prix qu’a mérité ma tendresse) on me jette en prison.

Le ressentiment de Junon n’est sans doute pas encore apaisé, depuis le jour où une femme devint génisse, et de génisse déesse ; mais c’est être assez vengée, qu’une jeune fille ait mugi, et que, belle naguère, elle ne puisse plus charmer Jupiter. La génisse nouvelle s’arrêta sur les rives du fleuve son père[1], et vit dans les eaux paternelles des cornes qui n’avaient pas encore chargé son front. Elle s’efforce de parler ;

  1. Le fleuve Inachus.