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mère Éthra, fille de Pitthée ; les rochers et la mer sont les auteurs de tes jours[1].

Que ne m’as-tu vue du sommet de ta poupe ! Un si triste spectacle eût attendri ton cœur. Maintenant encore, vois-moi, non plus des yeux, mais en idée, si tu le peux ; vois-moi attachée à un rocher où vient se briser la vague inconstante ; vois le désordre de mes cheveux, attestant ma douleur, et ma tunique inondée de larmes comme si la pluie l’eût trempée. Mon corps frissonne comme les épis qu’agite l’aquilon[2], et ma lettre frémit sous ma main tremblante. Je ne te supplie pas au nom d’un bienfait qui m’a si mal réussi ; qu’aucune reconnaissance ne soit due au service que je t’ai rendu, mais aucune peine non plus. Si je n’ai pas été la cause qui t’a sauvé la vie, pourquoi serais-tu celle qui me donne la mort ?

Malheureuse ! Je tends vers toi, dont me sépare la vaste mer, ces mains fatiguées à meurtrir ma lugubre poitrine. Je te montre, tout éplorée, les cheveux qui ont échappé à ma fureur. Je t’en conjure par les larmes que m’arrache ta cruauté, Thésée, tourne vers moi la proue de ton vaisseau ! Reviens, que les vents te ramènent ! Si je succombe avant ton retour, au moins tu enseveliras mes os.


CANACÉ À MACÉRÉE

Si des taches dérobent à ta vue troublée quelque chose de cet écrit, c’est que cette lettre aura été couverte du sang de ta maîtresse[3].À la main droite tient une plume ; l’autre tient un fer nu ; sur mes genoux est une feuille déroulée. Telle est l’image de la fille d’Éole écrivant à son frère ; c’est ainsi sans doute que je puis contenter un père inexorable[4].

Je voudrais qu’il fût lui-même témoin de mon trépas, et que le coup fût porté sous les yeux de celui qui le commande. Barbare comme il l’est, et plus cruel que les vents qu’il déchaîne, il aurait d’un œil sec contemplé mes blessures. C’est quelque chose que de vivre avec les vents furieux : son naturel s’accorde avec celui de son peuple. Il commande au Notus, au Zéphyr, à l’aquilon de Sithonie ; il dirige ton vol, Eurus capricieux. Il commande, hélas ! aux vents, et ne commande pas à sa colère orgueilleuse. Son royaume est moins grand que ses vices.À quoi me sert que les noms de mes ancêtres me rapprochent du ciel, et de pouvoir compter Jupiter au nombre de mes parents ? Un présent de mort, un glaive fatal, une arme qui n’est point faite pour moi, en est-elle moins dans la main d’une femme ?

  1. Catulle et Virgile ont employé les mêmes figures qu’Ovide dans ses vers.

    Quaenam te genuit saeva sub rupe leaena ?
    Quod mare conceptum spumantibus exspuit undis ? (Catuli. 154.)
    Nec te Diva parens, generis nec Dardanus auctor.
    Perfide ; sed duris genuit te cautibus horrens
    Caucasus. (Aeneid. IV, 365.)

  2. Ovide s’est encore servi de cette comparaison, et en parlant d’Ariane, dans l’Art d’aimer, I. 555.
  3. Si qua tamen tibi lecturo pars oblita deerit,
    Haec erit a lacrimis facto litura meis. (Propert, IV, el. III, 5)

  4. On verra plus bas pourquoi et comment l’ordre de se tuer fut envoyé à Canacé par Eole, son père.