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mon frère, qui fus enlevé à la tienne, et toi, lumière de ce jour, le dernier que verront mes yeux, et toi, mon époux, oh ! puisses-tu vivre ! et toi Hyllus, mon enfant, adieu.


ARIADNE À THÉSÉE

J’ai trouvé la race entière des animaux plus douce que toi, et je n’avais à redouter d’aucun être plus de maux que tu m’en causes. Ce que tu lis, je te l’envoie, Thésée, du rivage d’où les voiles emportèrent sans moi ton vaisseau, du lieu où je fus indignement trahie, et par mon sommeil, et par toi qui en profitas, dans ton odieuse perfidie.

C’était le moment où la terre est couverte de la transparente rosée du matin, où les oiseaux gazouillent sous le feuillage qui les couvre. Dans cet instant d’un réveil incertain, toute languissante de sommeil, j’étendais, pour toucher Thésée, des mains encore appesanties ; personne à côté de moi ; je les étends de nouveau, je cherche encore ; j’agite mes bras à travers ma couche ; personne. La crainte m’arrache au sommeil ; je me lève épouvantée, et me précipite hors de ce lit solitaire. Ma poitrine résonne aussitôt sous mes mains qui la frappent, et ma chevelure, que la nuit a mise en désordre, est bientôt arrachée. La lune m’éclairait ; je regarde si je puis apercevoir autre chose que le rivage ; à mes yeux ne s’offre rien, que le rivage. Je cours de ce côté, d’un autre, partout, d’un pas incertain. Un sable profond retient mes pieds de jeune fille. Cependant, tout le long du rivage, ma voix crie : "Thésée ! " Les autres creux répétaient ton nom. Les lieux où j’errais t’appelaient autant de fois que moi-même, et semblaient vouloir secourir une infortunée.

Il est une montagne au sommet de laquelle apparaissent des arbustes en petit nombre. De là pend un rocher miné par les eaux qui grondent à ses pieds. J’y monte (le courage me donnait des forces), et je mesure ainsi la vaste étendue des mers que je domine[1]. De ce point, car les vents cruels me servirent alors, je vis tes voiles enflées par l’impétueux Notus. Soit que je les visse en effet, soit que je crusse les voir, je devins plus froide que la glace, et la vie fut près de m’échapper. Mais la douleur ne me laisse pas longtemps immobile, elle m’excite bientôt, elle m’excite, et j’appelle Thésée de toute la force de ma voix. Où fuis-tu ? m’écrié-je ; reviens, barbare Thésée, tourne de ce côté ton vaisseau ; il n’emporte pas tous ceux qui le doivent monter."[2] Telles furent mes prières ; les sanglots suppléaient à ce qui manquait à ma voix. Des coups accompagnaient les paroles que je prononçais.

  1. On peut lire celle épisocle dans Catulle, Epithalame de Thétis et Pélée :

    Quem procul ex alga Martis Minois ocellis
    Saxea ut effigies Bacchantis prospicit Evoë…

  2. Catulle a su rendre cette plainte également touchante : Siccine me patriis avectam, perfide, ab oris….