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les métamorphoses

et ses champs couverts de lentisques(19), le Vulturne et ses eaux chargées de sable, Sinuessa où l’on voit tant de blanches colombes, les bords funestes de Minturne(20), Gaïète où Énée ensevelit sa nourrice, Formium, la ville d’Antiphate, les marais d’Anxur, la terre de Circé, et le solide rivage d’Antium. C’est vers ce point que les Romains tournent leurs voiles ; car la mer était devenue menaçante. Le dieu déroule ses immenses anneaux, et se glisse en rampant dans le temple d’Apollon, élevé sur ces bords. Cependant les flots se sont apaisés ; le dieu d’Épidaure quitte les autels hospitaliers de son père, sillonne le sable de ses bruyantes écailles, remonte le long du gouvernail, et pose de nouveau sa tête sur la poupe, tant que le vaisseau n’est pas arrivé à Castrum, aux champs sacrés de Lavinie(21), à l’embouchure du Tibre. C’est là que tout un peuple, et les hommes et les femmes, et les vierges sacrées de Vesta, se précipitent au-devant du dieu : mille cris de joie le saluent. Tandis que le vaisseau remonte rapidement les eaux du fleuve, sur les autels dressés le long des deux rives, l’encens brûle et pétille ; des nuages de parfums s’élèvent dans les airs ; les victimes tombent sous le fer fumant du sacrifice. Enfin on est arrivé dans la capitale de l’univers : le serpent s’élève jusqu’à la pointe du mât ; il agite sa tête, et regarde autour de lui quel lieu il doit choisir pour sa demeure. Le Tibre, dans son cours, se partage en deux bras d’une égale largeur, qui environnent de leurs eaux une île à laquelle le fleuve a donné son nom. C’est là qu’en sortant du vaisseau le serpent se retire ; il reprend sa figure, met fin aux ravages du fléau, et sa présence a sauvé Rome.

VIII. Cependant Esculape n’est dans nos temples qu’un dieu étranger : César est dieu dans sa patrie. Grand sous la cuirasse et sous la toge, ce n’est pas seulement à ses triomphes, à ses lois, à ses victoires gagnées en courant, c’est aussi à son fils qu’il doit de briller parmi les astres, sous la forme d’une nouvelle comète : et, de tous ses titres, le plus beau est celui d’avoir donné la vie à Auguste. Oui, pour César, il est moins glorieux d’avoir dompté les Bretons, défendus par l’Océan, d’avoir montré aux sept bouches du Nil ses flottes victorieuses, d’avoir soumis au peuple romain les Numides rebelles, l’Africain Juba(22), et le Pont encore rempli du nom de Mithridate, d’avoir souvent et parfois obtenu le triomphe, que d’être le père du grand homme auquel les dieux ont donné l’empire de la terre, pour le bonheur du genre humain. Auguste ne pouvait sortir du sang d’un mortel ; il fallait que César devînt dieu : il le fut ; mais la mère d’Énée eut d’abord la douleur de voir préparer sa mort, et les conjurés aiguiser leurs poignards. Elle court, pâle