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les métamorphoses

pu verser tant de sang, aujourd’hui couchée par terre, n’a plus à montrer, pour toutes richesses, que de vieilles ruines et des tombeaux. Sparte fut une cité glorieuse ; Mycènes, Thèbes, Athènes, furent grandes et redoutées : Sparte est un lieu obscur et misérable ; la puissante Mycènes est tombée ; la ville d’Œdipe n’est plus qu’un nom ; Athènes n’est plus qu’un fantôme. Et maintenant la renommée parle de Rome, fille d’Ilion, qui s’élève ; sur les bords du Tibre, elle pose les fondements d’un colossal empire. Elle change, mais en grandissant, et un jour, elle sera la tête de l’univers : ainsi l’annoncent les devins et les oracles. Si ma mémoire est fidèle, Hélénus disait à Énée, triste, abattu, sans espoir à la vue de Troie déjà chancelante : « Fils d’une déesse, si tu as quelque confiance en mes oracles, crois-moi, tu ne dois pas périr, et Ilion ne tombera pas tout entier. Le fer et la flamme te laisseront passer ; tu iras, tu emporteras Pergame sur tes vaisseaux, et tous deux, sous un ciel étranger, vous trouverez une terre plus heureuse. Je vois la ville promise à nos descendants par les destins : dans le passé, dans le présent et dans l’avenir, elle n’a pas d’égale ; ses chefs, de siècle en siècle, étendront sa puissance ; mais c’est un descendant d’Iule qui la fera maîtresse du monde. Quand la terre aura joui de lui, les dieux en jouiront à leur tour : le ciel sera sa dernière demeure. » Je me rappelle ces prophétiques paroles ; je suis heureux de voir renaître mon ancienne patrie, et la victoire des Grecs faire la grandeur des Troyens.

» Mais ne laissons pas nos coursiers oublier le but, et s’écarter plus longtemps. Le ciel et tout ce qu’on voit au-dessous de lui, la terre et tout ce qu’elle contient, changent de formes. Nous aussi, portion de ce monde, nous changeons ; et, comme nous avons une âme vagabonde qui peut, de notre corps, passer dans le corps des animaux, laissons en paix et respectons l’asile où vivent les âmes de nos parents, de nos frères, de ceux que nous aimions, des âmes d’hommes, enfin : prenons garde de faire des festins de Thyeste. Comme il se fait d’horribles goûts, comme il se prépare à verser un jour le sang humain, celui qui égorge de sang-froid un agneau, et qui prête une oreille insensible à ses bêlements plaintifs ; celui qui peut sans pitié tuer le jeune chevreau et l’entendre vagir comme un enfant ; celui qui peut manger l’oiseau qu’il a nourri de sa main ! Y a-t-il loin de ce crime au dernier des crimes, l’homicide ? N’en ouvre-t-il pas le chemin ? Laissez le bœuf labourer, et ne mourir que de vieillesse ; laissez les brebis nous munir contre le souffle glacial de Borée, et les chèvres présenter leurs