restée seule auprès d’Ulysse, cette nymphe me fit voir, dans un lieu consacré, la statue en marbre blanc d’un jeune homme dont la tête, ornée de couronnes nombreuses, était surmontée d’un pivert. Curieux de savoir quelle était cette statue, pourquoi elle était adorée dans un temple, et pourquoi ce pivert était sur sa tête, je le demandai à ma compagne. « Écoute, Macarée, me dit-elle, et tu sauras combien est redoutable la puissance de ma maîtresse ; prête-moi ton attention.
« Picus, fils de Saturne, régnait dans l’Ausonie : il avait la passion de dresser pour la guerre de vaillants coursiers. Cette statue est la sienne : tu peux voir dans cette image de marbre combien il était beau, et son âme était aussi belle que sa figure. Il n’avait pu voir encore quatre fois les jeux que la Grèce célèbre tous les cinq ans dans l’Élide ; et les Dryades des monts du Latium avaient pourtant tourné les yeux vers lui ; les Nymphes des fontaines, les Naïades de l’Albula(8), du Numicus, de l’Anio, de l’Alme si tôt borné dans son cours, du Nar impétueux, du Farfarus aux frais ombrages ; les divinités qui habitent la forêt sacrée de la Diane scythique(9), et les lacs d’alentour, toutes l’aimaient ; mais une seule nymphe eut son amour ; c’était la fille de Janus au double visage, et de Vénilia, qui lui avait donné la vie sur le mont Palatin. À peine sortie de l’adolescence, elle choisit, parmi tous ses amants, Picus pour son époux. Son admirable beauté était encore moins admirable que sa voix, et ses chants lui avaient fait donner le nom de Canente : ils animaient les bois et les rochers, apprivoisaient les animaux féroces, suspendaient le cours des grands fleuves, et fixaient le vol errant des oiseaux. Un jour, pendant qu’elle se plaisait à faire entendre sa voix mélodieuse, Picus était sorti du palais pour aller chasser le sanglier dans les campagnes de Laurente : il pressait les flancs d’un coursier plein de feu ; deux javelots brillaient dans sa main gauche, et une agrafe d’or tenait relevés les plis de sa chlamyde de pourpre. Le même jour, la fille du Soleil avait aussi quitté son île pour venir dans les mêmes forêts, sur les fertiles collines des Laurentins, cueillir de nouvelles plantes. Cachée dans le taillis, elle aperçoit Picus : immobile de surprise, elle laisse échapper les fleurs qu’elle avait cueillies ; un feu subit court dans ses veines ; et, à peine remise de cette première émotion, elle veut lui parler, lui avouer tous ses désirs. Mais le cheval du jeune roi l’emportait rapidement au milieu d’un tourbillon de chasseurs. « Tu ne m’échapperas pas, s’écrie-t-elle ; non, quand tu serais enlevé par les vents : non, si je me connais bien, si toute la vertu des plantes n’est pas évanouie, si mes conjurations ne trompent pas mon attente ! » Elle dit, et l’ombre d’un sanglier, une image sans corps, vient passer sous les yeux de Picus, et paraît s’enfoncer