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le chemin des airs[1] ! Qu’elle erre ainsi sans secours, sans espoir, partout couverte du sang des siens. Voilà ce que demande la fille de Thoas, dépouillée de ses droits d’épouse. Vivez, époux dignes l’un de l’autre, sur une couche que les dieux maudissent.


DIDON À ÉNÉE

Tel, penché sur les humides roseaux, le cygne au blanc plumage chante aux bords du Méandre, quand les destins l’appellent. Ce n’est pas dans l’espoir de te fléchir par ma prière, que je t’adresse ces mots : j’y suis poussée par un dieu qui m’est contraire. Mais après avoir perdu pour un ingrat le fruit de mes bienfaits, mon honneur, un corps chaste et une âme pudique, c’est peu de perdre des paroles. Tu as résolu de t’éloigner cependant et d’abandonner la malheureuse Didon. Tu vas livrer au souffle des vents tes voiles et tes serments[2]. Tu as résolu, Énée, de délier et ton ancre et ta foi, de chercher un royaume d’Italie, que tu ne sais pas même où trouver. Peu t’importent et la naissante Carthage, et ses murs qui s’élèvent, et le pouvoir confié à ton sceptre. Tu fuis ce qui est fait, tu poursuis ce qui est à faire. Il te faut chercher dans le monde une autre terre. Que tu la trouves, cette terre, qui t’en livrera la possession ? Qui cédera, pour qu’ils s’y établissent, son territoire à des inconnus ? Il te reste à avoir un autre amour et une autre Didon, et, pour la violer de nouveau, à engager de nouveau ta foi. Quand viendra le jour où tu pourras élever une ville semblable à Carthage, et voir du haut de ta citadelle les peuples soumis à tes lois ?

Que tout te réussisse, que tes vœux ne rencontrent point d’obstacles, où trouveras-tu une épouse qui t’aime comme moi ? Je brûle comme ces torches de cire, enduites de soufre, comme l’encens sacré jeté sur le brasier fumant. Énée est toujours, pendant que je veille, comme attaché à mes yeux. La nuit et le jour retracent sans cesse Énée à mon esprit. C’est un ingrat pourtant, que mes bienfaits ne touchent pas, et que je devrais oublier, si je n’étais insensée, et cependant, bien qu’il songe à me trahir, je ne hais pas Énée, mais je me plains de l’infidèle, et ma plainte me le fait aimer davantage. Vénus, prends pitié de ta bru, et toi, Amour, embrase de tous tes feux un frère cruel. Qu’il combatte sous tes drapeaux, et qu’à ce prix, j’y consens, celui que j’ai commencé à aimer donne à mon amour de nouveaux sujets de tourments !

Je m’abuse, et une illusion mensongère se joue de moi. Que son cœur est différent de ce

  1. Lorsque Jason eut épousé Créüse, Médée, dit la fable, s’étant vengée de lui sur les deux enfants qu’elle en avait eus, s’enfuit à travers les airs sur un char traîné par des dragons ailés, et retourna à Colchos.
  2. Ovide cherche trop ces rapprochements puérils ; il a déjà dit ; … ventis et verba et vela dedisti : Vela queror reditu, verba carere fide. Et on lit dans le vers suivant : Certus es…. cum foedere solvere naves.