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les métamorphoses

yeux d’Alcyone, et que des mains amies rendissent les derniers devoirs à ses mânes. Si les flots ne couvrent pas sa tête, il prononce le nom d’Alcyone ; il le murmure sous les flots. Tout à coup, au-dessus des vagues qui l’entourent, s’élève en arc une vague immense, qui crève et le submerge. Pendant cette triste nuit, Lucifer obscurcit son disque méconnaissable, et, forcé de demeurer dans les cieux, voila ses feux de nuages épais.

Cependant, ignorant son malheur, la fille d’Éole compte les nuits ; déjà elle apprête les tissus que doit revêtir son époux, ceux dont elle veut se parer elle-même ; elle se berce du vain espoir d’un retour, elle fait fumer l’encens sur l’autel de tous les dieux ; mais c’est surtout au temple de Junon qu’elle va porter ses pieuses offrandes. Elle l’implore pour un époux qui n’est plus ; elle lui demande de le ramener sain et sauf, de faire qu’il lui reste fidèle. Hélas ! ce dernier vœu est le seul qui puisse être accompli ! La déesse ne peut supporter plus longtemps d’être priée pour Céyx, qui n’est plus ; elle veut écarter de son autel ces offrandes funestes(14). « Va, dit-elle, Iris, fidèle messagère, va, d’une aile rapide, vers la demeure du Sommeil ; ordonne-lui d’envoyer en songe à Alcyone l’image de Céyx, pour lui apprendre le sort de son époux. » Elle dit ; Iris revêt sa tunique aux mille couleurs, fait briller son arc dans les cieux, et dirige son vol vers le palais du roi des Songes.

Il est, dans le pays des Cimmériens, une caverne profonde, creusée dans les flancs d’une montagne : c’est la demeure ignorée du Sommeil. Soit qu’il se lève à l’orient, soit qu’il arrive au milieu de sa carrière, soit qu’il se plonge dans les flots, jamais Phébus n’y lance ses rayons. La terre, à l’entour, exhale de sombres brouillards ; ces lieux ne sont éclairés que par la lueur douteuse d’un éternel crépuscule. Là jamais l’oiseau vigilant à la crête de pourpre n’appela l’Aurore de ses chants ; jamais le chien fidèle, jamais l’oiseau du Capitole, plus fidèle encore, ne troublèrent par leur voix le silence ; jamais, ni le rugissement des bêtes féroces, ni les bêlements des troupeaux, ni le froissement des feuilles agitées par le vent, ni les cris de l’homme, ne s’y firent entendre : c’est l’empire du muet repos. Seulement, du fond de la caverne, un ruisseau plein de l’eau du Léthé coule sur les cailloux retentissants, avec un murmure dont la douceur invite au sommeil ; à l’entrée croît une moisson de pavots et d’herbes assoupissantes ; la Nuit en exprime le suc et le répand sur la terre avec ses ombres. Là, pas de porte qui grince en tournant sur ses gonds ; rien ne défend l’entrée, nul gardien ne veille sur le seuil. Au milieu s’élève un lit d’ébène, rempli d’un épais duvet et couvert d’un