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les métamorphoses

une courte halte, un peu plus tôt, un peu plus tard, nous nous empressons vers le même terme… C’est ici que nous tendons tous… Voici notre dernière demeure, et vous tenez le genre humain sous votre éternel empire. Elle aussi, quand le progrès des ans aura mûri sa beauté, elle aussi pourra subir vos lois. Qu’elle vive ! c’est la seule faveur que je demande. Ah ! si les destins me refusent la grâce d’une épouse, je l’ai juré, je ne veux pas revoir la lumière. Réjouissez-vous de frapper deux victimes ! »

Il disait, et les frémissements de sa lyre se mêlaient à sa voix, et les pâles ombres pleuraient. Il disait, et Tantale ne poursuit plus l’onde fugitive, et la roue d’Ixion s’arrête étonnée, et les vautours cessent de ronger le flanc de Tityus, et les filles de Bélus se reposent sur leurs urnes, et toi, Sisyphe, tu t’assieds sur ton fatal rocher. Alors, pour la première fois, des larmes, ô triomphe de l’harmonie ! mouillèrent, dit-on, les joues des Euménides. Ni la souveraine des morts, ni celui qui règne sur les mânes ne peuvent repousser sa prière. Ils appellent Eurydice. Elle était là parmi les ombres nouvelles, et d’un pas ralenti par sa blessure, elle s’avance. Il l’a retrouvée, mais c’est à une condition. Le chantre du Rhodope ne doit jeter les yeux derrière lui qu’au sortir des vallées de l’Averne : sinon la grâce est révoquée.

Ils suivent, au milieu d’un morne silence, un sentier raide, escarpé, ténébreux, noyé d’épaisses vapeurs. Ils n’étaient pas éloignés du but ; ils touchaient à la surface de la terre, lorsque, tremblant qu’elle n’échappe, inquiet, impatient de voir, Orphée tourne la tête. Soudain elle est rentraînée dans l’abîme. Il lui tend les bras, il cherche son étreinte, il veut la saisir ; elle s’évanouit, et l’infortuné n’embrasse que son ombre. C’en est fait ! elle meurt pour la seconde fois : mais elle ne se plaint pas de son époux. Et de quoi se plaindrait-elle ? Il l’aimait. Adieu ! ce fut le dernier adieu, et à peine parvint-il aux oreilles d’Orphée : déjà l’Enfer a reconquis sa proie.

Orphée demeure glacé. Perdre deux fois sa compagne ! Il est là, comme ce berger pusillanime à la vue des trois têtes de Cerbère enchaîné. La terreur n’abandonne l’infortuné qu’avec la vie. Son corps se transforme en pierre. Tel encore cet Olénus qui appela sur sa tête le châtiment de ton crime, ô Lethæa, trop fière de ta malheureuse beauté(1). Cœurs naguère tendrement unis, vous n’êtes plus que des rochers insensibles au sommet humide de l’Ida ! Il prie ; il veut en vain repasser l’Achéron. Le nocher le repousse. Et pourtant, sept jours entiers, couvert de poussière, sevré des dons de Cérès, il reste sur la rive du fleuve, immobile, se repaissant du trouble de son âme, de sa douleur et de ses larmes. Il accuse de cruauté les dieux de l’Érèbe. Enfin, il se réfugie au haut du Rhodope, de l’Hémus que battent les Aquilons. Trois fois, sur les