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les métamorphoses

sans cesse il appelle des mets ; ce qui suffirait à nourrir des villes et des peuples entiers ne saurait lui suffire ; il sent ses désirs croître à mesure que les aliments s’engloutissent dans son sein. Pareil à l’Océan, qui reçoit dans son sein tous les fleuves de la terre, et qui absorbe leurs eaux sans pouvoir apaiser sa soif ; pareil au feu, dont l’insatiable fureur dévore d’innombrables troncs d’arbres, s’augmente par l’abondance même des aliments qu’on lui jette, et, consumant sans cesse, s’irrite en consumant ; l’impie Érisichthon, pendant que les viandes se pressent dans sa bouche, demande d’autres viandes ; chaque morceau qu’il mange allume en lui un nouveau désir, et l’abîme qu’il veut combler ne fait que se creuser davantage. Au fond de ses entrailles, que tourmente la faim, avait déjà disparu son patrimoine sans qu’il eût, ô faim cruelle, émoussé ton aiguillon ni calmé le feu qui brûle sa bouche ! Après avoir dévoré ses richesses, il ne lui restait qu’une fille, digne d’un autre père ; dans sa détresse, il la vend aussi ; mais sa fierté repousse le joug. Un jour, au bord de la mer, elle s’écrie, en étendant les mains au-dessus des eaux : « Sauve-moi de l’esclavage, toi qui m’as ravi l’innocence. » C’est en effet Neptune qui la lui avait ravie. Le dieu ne rejette pas sa prière ; sous les yeux mêmes de son maître, qui la suivait, elle change de sexe, revêt les traits d’un homme et le costume d’un pêcheur. Son maître la regarde. « Vous, dit-il, qui, armé d’un roseau, suspendez une amorce trompeuse au fer des hameçons, puissiez-vous trouver la mer toujours calme ; puisse le crédule poisson ne sentir votre hameçon qu’après l’avoir mordu. Naguère, sous des vêtements grossiers, et les cheveux en désordre, une nymphe s’est arrêtée sur ce rivage ; je l’ai vue ici moi-même ; pourriez-vous me dire où elle est ? Au-delà je n’aperçois plus la trace de ses pas. » Métra reconnaît l’heureuse influence de la protection de Neptune, et, ravie qu’on veuille savoir d’elle ce que Métra est devenue, elle répond : « Pardonnez, qui que vous soyez ; je n’ai pas détourné les yeux du côté du rivage, et les ai tenus constamment fixés sur l’onde ; je n’étais attentif qu’à ma pêche ; pour bannir tous vos doutes, je prends le roi des mers à témoin de ma sincérité ; puisse-t-il favoriser mon dessein, s’il est vrai qu’excepté moi, depuis longtemps, ni homme ni femme n’ont paru sur ce rivage. » Sur la foi de ces trompeuses paroles, il s’éloigne en foulant l’arène. Dès qu’il a disparu, la nymphe reprend ses premiers traits ; mais son père, voyant qu’elle peut subir plusieurs métamorphoses, la vend à divers maîtres ; elle devient tour à tour cavale, oiseau, cerf, génisse, sans pouvoir suffire à l’insatiable voracité de son père. Cependant le mal qui le tourmente avait tout dévoré, et n’avait fait que s’irriter davantage ; alors il se déchire lui-même de ses dents