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les métamorphoses

tiède, elle sert à réchauffer les pieds des voyageurs. Au milieu de la cabane s’élevait, couvert d’une molle natte de mousse, un lit dont le corps et les pieds étaient en saule. On étend sur ses contours un tapis qui ne sert qu’aux fêtes solennelles ; c’était pourtant un lambeau d’étoffe grossière et usée, digne ornement d’une couche de saule. Les dieux y prennent place : la tremblante et active ménagère dresse devant eux la table dont elle égale les pieds chancelants avec les débris d’un vase d’argile ; puis elle l’essuie et la parfume avec des feuilles de menthe. Elle sert alors la baie que la chaste Minerve fait mûrir sous deux couleurs différentes ; le fruit du cornouiller, conservé dès l’automne dans de la lie de vin ; des laitues, des raves, du laitage frais, et des œufs cuits à la tiède chaleur de la cendre ; le tout sur des plats de terre. Elle apporte ensuite un grand vase de la même matière, rempli de vin, avec des coupes de hêtre, dont l’intérieur est enduit de cire. Bientôt arrivent les mets apprêtés sur la flamme, et le vin qui n’a pas eu le temps de vieillir, et que Baucis écarte un peu pour faire place aux mets du second service. On voit paraître, dans des corbeilles, des noix et des figues mêlées aux fruits ridés du palmier, des prunes, des pommes parfumées, et des grappes cueillies sur les tiges vermeilles de la vigne ; placé au milieu de la table, un blanc rayon de miel couronne le banquet. Le repas fut assaisonné par ces manières affables et cette bonne volonté pleine d’empressement qui donne du prix à toute chose. Cependant le vase se remplissait de lui-même à mesure qu’on le vidait ; le vin allait augmentant au lieu de diminuer. À la vue de ce prodige, frappés d’étonnement et de crainte, Philémon et Baucis lèvent au ciel leurs mains suppliantes et conjurent les dieux d’excuser les modiques apprêts d’un si pauvre repas. Il leur restait encore une oie, garde unique de leur humble cabane : ils veulent l’immoler à leurs divins hôtes ; l’oiseau rapide fatigue à sa poursuite leurs pas appesantis par l’âge et leur échappe longtemps ; enfin il cherche un asile entre les pieds des immortels, qui défendent de le tuer. « Oui, nous sommes des dieux, disent-ils ; nous allons punir l’impiété de vos voisins ; vous seuls ne serez point enveloppés dans leur malheur : quittez seulement votre demeure, et suivez-nous tous les deux au sommet de cette montagne. » Les vieillards obéissent : à l’aide d’un bâton, ils s’efforcent de gravir la longue pente de la montagne. Ils n’étaient qu’à une portée de flèche du sommet, lorsqu’ils retournent la tête : le bourg entier a disparu, englouti dans les eaux du marais ; leur cabane seule est restée debout. Pendant qu’ils admirent ce prodige et déplorent le sort de leurs voisins, cette antique chaumière, trop étroite même pour deux maîtres, est changée en temple, et des colonnes s’élè-