Page:Ovide - Œuvres complètes, Nisard, 1850.djvu/408

Cette page a été validée par deux contributeurs.

rer mon bonheur, et mettre le comble à mes désirs. » Tandis qu’elle parle survient la nuit, qui fournit aux peines de féconds aliments, et Scylla s’enhardit au sein des ténèbres ; c’était l’heure où le premier sommeil assoupit les cœurs épuisés des soucis et des travaux du jour ; elle approche en silence du chevet de son père. Ô forfait ! la fille ravit au père le cheveu fatal ! Maîtresse de ce trésor impie, elle emporte avec elle sa criminelle dépouille, franchit les portes de la ville, et à travers les tentes ennemies (tant le service qu’elle rend à Minos lui inspire de sécurité !), elle parvient jusqu’au roi, qui frémit à son aspect : « L’amour m’a conseillé le crime, dit-elle ; moi, Scylla, la fille de Nisus, je te livre les dieux de ma patrie et ceux de ma famille, et je ne veux d’autre récompense que toi : pour gage de mon amour, reçois ce cheveu qui brille comme la pourpre, et crois que ce n’est pas un vain cheveu que je te livre ici, mais la tête de mon père lui-même » ; et sa main présente le don parricide à Minos, qui le repousse, plein de trouble et d’horreur à l’idée de ce forfait inouï. « Puissent les dieux, s’écrie-t-il, te bannir de l’univers qui leur appartient, ô toi, l’opprobre de notre âge ! Puissent la terre et la mer être à jamais fermées ! Pour moi, je ne souffrirai pas que la Crète, berceau de Jupiter, la Crète où je règne, soit souillée du contact d’un monstre tel que toi. » Il dit, et après avoir imposé aux ennemis vaincus des conditions dictées par la justice, il ordonne de rompre les liens qui retiennent sa flotte. À sa voix, les poupes d’airain avancent sous l’effort des rameurs ; Scylla, qui voit les vaisseaux sillonner les ondes, et Minos s’éloigner sans qu’elle ait reçu le salaire de son crime, lasse enfin de prier, se livre aux transports de sa rage. Hors d’elle-même, les bras tendus et les cheveux épars : « Où fuis-tu, s’écrie-t-elle, et pourquoi délaisser l’auteur de ta victoire, ô toi que j’ai préféré à ma patrie, toi que j’ai préféré à mon père ? Où fuis-tu, cruel ? ton triomphe est à la fois mon crime et mon bienfait. Rien ne t’a donc ému, ni mon présent, ni la tendresse d’une amante dont toutes les espérances reposaient sur toi ! Abandonnée par toi, où sera mon recours dans ma patrie ? Elle est vaincue, humiliée ; fût-elle debout, ma trahison m’y interdit tout accès. Irai-je me présenter aux regards de mon père ? je te l’ai livré. Ses sujets m’ont voué une juste haine, et mon exemple fait trembler les peuples voisins. Je me suis fermé l’univers entier, pour que seule la Crète me fût ouverte. Si tu me refuses ce dernier asile, ingrat, si tu me délaisses, non, tu n’es pas le fils d’Europe ; c’est quelque tigresse d’Arménie qui te donna le jour ; c’est la Syrte(4) inhospitalière, ou l’orageuse Charybde qui fut ton berceau ; non, tu n’es pas fils de Jupiter, et ta mère ne fut pas séduite par les formes trompeuses d’un taureau ; ton origine