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les métamorphoses

esclaves. Térée, assis sur le trône de ses aïeux, se repaît de son sang et engloutit dans son sein ses propres entrailles. Son aveuglement est si profond qu’il demande son fils : « Amenez-moi Itys, » dit-il. Procné ne peut dissimuler une cruelle joie ; et brûlant de lui annoncer son malheur : « Celui que tu demandes est avec toi, » dit-elle. Il promène ses regards autour de lui, et tandis que ses yeux le cherchent de tous côtés et que sa voix l’appelle incessamment, les cheveux épars et respirant le meurtre, Philomèle s’élance, et jette la tête sanglante d’Itys à la tête de son père : jamais elle ne désira plus vivement de pouvoir faire entendre sa voix et d’y trouver une interprète fidèle de sa joie. Le roi de Thrace repousse la table avec des cris d’horreur ; il évoque du Styx les déités qui s’arment de serpents. Tantôt il voudrait retirer de ses flancs entr’ouverts les mets exécrables qui recélaient les entrailles de son fils ; tantôt il pleure et s’appelle le tombeau de son fils, ou bien, l’épée nue à la main, il poursuit les filles de Pandion. On eût dit que, portées sur des ailes, elles se balançaient dans les airs : elles avaient des ailes en effet. L’une prend son essor vers les forêts, l’autre voltige sous nos toits(30). Les traces de ce meurtre ne sont pas encore effacées sur leur sein, et leur plumage est taché de sang. Pendant que le désespoir et l’ardeur de la vengeance l’emportent à la suite des deux sœurs, Térée lui-même est changé en oiseau ; une aigrette se dresse sur son front, son bec s’allonge et prend la forme d’un dard : cet oiseau se nomme la Huppe ; sa tête est armée de plumes menaçantes. La douleur de ce désastre précipite Pandion dans la nuit du Tartare avant le jour marqué par le destin, avant qu’il eût atteint une longue vieillesse.

VII. Le sceptre et les rênes de l’empire passent dans les mains d’Érechthée, aussi recommandable par sa justice que puissant par les armes. Il était père de quatre fils et d’autant de filles ; deux d’entre elles étaient d’une égale beauté. Céphale, sorti du sang d’Éole, devint ton époux, ô Procris ! mais Térée et ses Thraces nuisirent à l’amour de Borée ; Orithye fut refusée à la tendresse de ce dieu, tant qu’il aima mieux l’obtenir par des prières que par la violence. Voyant enfin l’impuissance de ses tendres efforts, il déchaîne cette fureur terrible qui lui est habituelle et n’appartient qu’à lui. « Je l’ai mérité, dit-il ; pourquoi me suis-je dépouillé de mes armes, l’impétuosité, la force, la colère et la menace ? Pourquoi suis-je descendu à la prière, qui n’est pas faite pour moi ? La force est mon partage ; par elle, je dissipe les sombres nuages ; par elle, je soulève les mers, je renverse les chênes vigoureux, je durcis la neige, et je fais tomber la grêle qui bat le sein de la terre. C’est moi qui, rencontrant mes frères dans les plaines éthérées (car c’est là mon champ de bataille) lutte contre eux avec un