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les métamorphoses

laissent le sacrifice interrompu ; mais leur bouche peut encore murmurer les prières qu’elles adressaient à la déesse. Latone, indignée, monte au sommet du Cynthe, et adresse ces paroles à ses deux enfants : « Moi, votre mère, si fière de vous avoir donné le jour ; moi qui, dans tout l’Olympe, ne le cédais qu’à la seule Junon, on doute maintenant de ma divinité ! Ces autels où je suis honorée depuis tant de siècles vont m’être interdits, ô mes enfants ! si vous ne me prêtez votre appui. Ce n’est pas là ma seule douleur : la fille de Tantale ajoute l’insulte à son impiété : elle ose vous préférer ses enfants, elle ose dire (puisse tomber sur elle un semblable malheur !) que je suis une mère sans enfants ; sa langue sacrilège a renouvelé les blasphèmes de son père. » Latone allait joindre la prière à ce discours. « C’en est assez, dit Phébus ; vos plaintes arrêtent trop longtemps la vengeance. » Phébé tient le même langage, et tous deux ils fendent les airs d’un vol rapide, et descendent, cachés dans un nuage, sur la cité que Cadmus a bâtie. Près des murs s’étendait au loin une vaste plaine, incessamment foulée par les chevaux ; le sol s’était ramolli sous leurs pas et sous les roues des chars qui le sillonnaient sans cesse. C’est là qu’une partie des sept fils d’Amphion, montés sur des coursiers généreux, pressent leurs flancs couverts de tapis de pourpre, et les dirigent avec des rênes chargées d’or. L’un d’eux, Ismène, le premier que sa mère porta dans son sein, faisait tourner son coursier dans un cercle tracé, et soumettait au frein sa bouche écumante. « Hélas ! » s’écrie-t-il tout à coup ; il emporte dans sa chute le trait qui l’a frappé au milieu de la poitrine ; sa main mourante abandonne les rênes, glisse lentement sur l’épaule droite du cheval, et tombe sur le flanc. Placé près de son frère, Sipyle, au bruit d’un carquois qui résonne dans les airs, fuit à bride abattue ; ainsi fuit le pilote quand, à la vue d’un nuage précurseur de la pluie, il déploie toutes les voiles qui pendent aux mâts, pour recueillir jusqu’au plus léger souffle des vents. Mais il a beau presser son coursier, le trait inévitable le suit ; il frémit sur sa tête, s’y fixe, et le fer dont il est armé sort par sa bouche. Comme il vole penché sur le cou du coursier(17), livré à toute sa vitesse, il roule le long de la crinière, et va souiller la terre de son sang qui bouillonne. L’infortuné Phédime, et Tantale, héritier du nom de son aïeul, après avoir fini leur course accoutumée, étaient descendus sur l’arène pour se livrer à la lutte si chère à la jeunesse ; déjà l’huile brillante avait coulé sur leurs membres, déjà ils se tenaient étroitement embrassés, poitrine contre poitrine, lorsqu’une flèche, lancée par la corde tendue, les perce l’un et l’autre. Ils poussent ensemble un profond gémissement ; et quand leurs corps, affaissés par la douleur, sont ensemble tombés sur l’arène, ils roulent ensemble une mourante paupière, et rendent ensemble