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les métamorphoses

t’aime sous la forme d’un coursier : sous celle d’un oiseau, tu triomphes de la mère du coursier ailé, de Méduse, dont le front est hérissé de vipères ; et de Mélanthe(10), sous celle d’un dauphin. Elle donne aux personnages, elle donne aux lieux, les traits qui leur appartiennent. On voit Apollon prendre l’habit grossier d’un pâtre, ou le plumage d’un vautour, ou la crinière d’un lion aux larges flancs, ou devenir berger pour séduire Issé, la fille de Macarée. Bacchus abuse Érigone, sous la forme mensongère d’un raisin, et Saturne, transformé en cheval, fait naître le centaure Chiron. Autour de la toile serpentent, comme une bordure déliée, des rameaux de lierre entrelacés de fleurs.

Ni Pallas ni l’Envie ne pourraient rien reprendre dans cet ouvrage. La déesse, à la chevelure d’or, irritée du succès de sa rivale, déchire la toile où sont représentées les faiblesses des dieux ; elle tient encore à la main la navette de buis de Cyrotus : trois et quatre fois elle en frappe la tête de la fille d’Idmon. L’infortunée ne peut supporter cet affront ; dans son désespoir, elle se suspend à un cordon, et cherche à s’étrangler. Touchée de compassion, Pallas adoucit son destin : « Vis, lui dit-elle, malheureuse ! vis, mais toujours suspendue. La même peine (garde-toi d’espérer un meilleur avenir) est imposée à tes descendants jusqu’à la postérité la plus reculée. » Elle dit, et s’éloigne en répandant sur elle le suc d’une herbe vénéneuse. Tout à coup, atteints de ce fatal poison, les cheveux d’Arachné tombent, son nez et ses oreilles disparaissent, sa tête et tous ses membres se rapetissent ; des doigts longs et grêles sont attachés à ses flancs, et lui servent de jambes ; le reste du corps forme son ventre ; c’est de là que, fileuse araignée, et fidèle à ses anciens travaux, elle tire les fils dont elle ourdit sa toile.

II. La Lydie entière frémit ; la Renommée répand le bruit de cet événement dans les villes de Phrygie, et le livre aux entretiens du monde entier. Niobé, avant son hymen, avait connu Arachné, lorsque, vierge encore, elle habitait la Méonie et le mont Sipyle ; mais ce malheur, qu’elle regarde comme le châtiment d’une fille vulgaire, n’est point pour elle un avertissement de céder aux dieux et de modérer son langage. Tout concourt à nourrir son orgueil ; mais les talents de son époux, l’éclat de sa naissance et de celle d’Amphion, le vaste royaume soumis à ses lois, quelque vanité qu’elle en tire, la rendent moins fière encore que sa nombreuse postérité. Niobé eût été la plus heureuse des mères si elle eût moins connu son bonheur. La fille de Tirésias, Manus, qui lisait dans l’avenir, transportée d’une fureur divine, allait un jour, criant dans toutes les rues de la ville : « Thébaines, courez en foule offrir à Latone et à ses deux enfants vos pri-