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les métamorphoses

méprisent le dieu et profanent sa fête. Tout à coup, des tambours invisibles mêlent leur sourd murmure au bruit des flûtes recourbées et de l’airain sonore ; la myrrhe et le safran exhalent leur parfum. Ô prodige incroyable ! les toiles commencent à verdir, et les tissus flottants à se couvrir de feuilles de lierre ; une partie se transforme en vigne, les ceps ont remplacé la laine, le pampre surgit des fuseaux, et la pourpre prête son vif éclat aux grappes vermeilles. Déjà le jour, parvenu à son terme, amenait le moment où ce n’est ni la nuit qui règne ni la lumière, et qui sert de limite entre la lumière et l’obscurité douteuse de la nuit. Soudain, le toit s’ébranle, des torches répandent une abondante clarté ; le palais s’éclaire de lueurs étincelantes, et des monstres, vains fantômes, font entendre des hurlements affreux. Déjà les trois sœurs courent se cacher au fond de leur palais fumant ; çà et là dispersées, elles fuient la lumière et les flammes. Tandis qu’elles cherchent un asile, une membrane déliée s’étend sur leurs corps rétrécis, et des ailes légères enveloppent leurs bras. Les ténèbres ne permettent pas de savoir comment elles ont perdu leur première forme ; sans le secours d’aucun plumage, elles se soutiennent dans l’air sur des ailes d’un tissu transparent. Elles veulent parler, mais leur voix n’est plus qu’un cri faible parti d’un faible corps, un murmure aigu, seul langage permis à leur douleur ; elles ont leur demeure dans les maisons et non dans les forêts ; ennemies du jour, elles ne volent que la nuit, et c’est du nocturne Vesper qu’elles tiennent leur nom.

II. Thèbes entière rendait un éclatant hommage à la divinité de Bacchus ; la tante de ce nouveau dieu racontait partout sa redoutable puissance. Seule de toutes les filles de Cadmus, elle n’avait d’autres chagrins que les disgrâces de ses sœurs ; ses enfants, et l’honneur de partager la couche d’Athamas, et d’avoir un dieu pour nourrisson, remplissaient son âme d’orgueil. Junon voit son bonheur et ne le peut endurer : « Eh quoi ! le fils d’une adultère a pu métamorphoser les nautonniers de Méonie et les plonger dans les mers ; il a pu mettre en lambeaux les membres d’un enfant par les mains de sa mère, et donner aux trois filles de Minée des ailes jusqu’alors inconnues ; et Junon serait, pour toute vengeance, réduite à pleurer ses injures ! Est-ce donc assez pour moi ? Est-ce là tout mon pouvoir ? Lui-même il m’apprend ce que je dois faire ; on peut recevoir des leçons, même d’un ennemi : le meurtre de Penthée ne m’enseigne que trop ce que peut la fureur ; pourquoi donc, excitée par l’exemple de ses sœurs, Ino(25) ne se précipiterait-elle pas dans les mêmes égarements ? »

Il est un chemin dont la pente, ombragée par des ifs funèbres, conduit aux demeures infernales à travers un profond silence. Là,