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les métamorphoses

les portes s’ouvrent d’elles-mêmes, dit-on : d’elles-mêmes et sans être détachées, les chaînes tombent de ses mains. Le fils d’Échion persiste : il n’ordonne plus d’aller, il court lui-même sur le Cithéron, qui, choisi pour la célébration des mystères, retentissait des cris perçants des bacchantes. Tel qu’un ardent coursier, lorsque l’airain sonore de la trompette guerrière a donné le signal, frémit et respire le feu des combats ; tel s’irrite Penthée au bruit des hurlements qui frappent au loin les airs, et les cris qu’il entend rallument sa fureur.

Vers le milieu de la montagne est une plaine qu’entoure une forêt, mais dont l’enceinte nue et sans arbres s’offre libre à l’œil qui la contemple. C’est là que Penthée porte un regard profane sur les mystères ; Agavé(27) est la première qui l’aperçoit, et, la première transportée de fureur, elle lui lance son thyrse et porte à son fils les premiers coups : « Io ! s’écrie-t-elle, accourez, mes sœurs : ce monstrueux sanglier qui erre dans nos campagnes, c’est moi qui veux le frapper. » La troupe entière se jette avec fureur sur Penthée : toutes ensemble elles réunissent leurs coups contre lui seul, elles le poursuivent ensemble. Déjà tremblant, déjà moins emporté dans son langage, il se condamne, il s’avoue coupable. Blessé, il s’écrie : « Venez à mon secours, Autonoé(28), vous, la sœur de ma mère : laissez-vous fléchir par l’ombre d’Actéon. » Elle ne se souvient plus d’Actéon, et déchire la main de celui qui l’implore, l’autre est arrachée par Ino. L’infortuné n’a plus de bras qu’il puisse élever vers sa mère, mais lui montrant son corps sanglant et mutilé : « Regarde, ô ma mère ! » dit-il. Agavé jette sur lui les yeux, pousse des hurlements affreux, et secoue sa tête et ses cheveux abandonnés aux vents : Elle arrache la tête de son fils, et, la prenant dans ses mains ensanglantées, elle s’écrie : « Io ! mes compagnes, cette victoire est mon ouvrage ! » Les feuilles, effleurées par le vent froid de l’automne et qui tiennent à peine à la cime des arbres, ne sont pas plus vite emportées qu’on ne voit tomber en lambeaux les membres de Penthée sous les coups impies des bacchantes. Instruites par cet exemple, les Thébaines(29) célèbrent les mystères du nouveau dieu, lui offrent l’encens et révèrent les autels qui lui sont consacrés.


(1) Castalie, fontaine voisine de l’antre où se rendit l’oracle, avait sa source au pied du Parnasse.

(2) Panope, ville de la Phocide.

(3) Euripe appelle ce dragon Δράκων Αφσος, et le scoliaste de Sophocle lui donne pour mère une Furie.

(4) Chez les anciens, le rideau ne se levait pas comme chez nous ; on le faisait rouler de haut en bas et il restait ainsi abaissé tant que durait la pièce.

(5) Cadmus, pour accomplir l’oracle d’Apollon, fonda la ville de Thèbes. Il est vraisemblable qu’à l’époque où Cadmus arriva dans cette contrée, une guerre éclata parmi les habitants qui s’appelaient Sparti, du grec σπείρω, semer. De là sans doute la fable des dents semées.

(6) La montagne qu’Actéon avait souillée du sang des bêtes sauvages était le Cithéron.

(7) Jucenis Hyantius signifie le jeune Actéon. Les Béotiens furent d’abord appelés Hyantes, du nom sans doute d’Hyantia, ville du pays de Locres.

(8) Gargaphie était un vallon et une fontaine de la Béotie.

(9) Ovide donne aux chiens d’Actéon des noms grecs tirés les uns de leur beauté, les autres de leur nature ; ceux-ci de leur couleur, ceux-là de leur origine ou de leur patrie ; il en nomme trente-six. Hygin en nomme cinquante autres. Les meilleurs chiens de chasse venaient de la Crète, de l’Arcadie ou de la Laconie.

(10) Junon prend les traits de Béroé, d’Épidaure. Dans le Ve livre de l’Énéide, Iris se rend dans la Sicile, par ordre de Junon, prend les traits et la démarche d’une autre Béroé, femme de Doryclus, roi de Thrace, et conseille aux dames troyennes de brûler les vaisseaux d’Énée.

(11) Cette fiction repose sur le nom grec (Μηρός) de la montagne où Bacchus avait été élevé, et qui correspondait au mot femur des latins.

(12) Tirésias fut le plus célèbre devin des temps héroïques, le seul qui eût conservé l’esprit prophétique après sa mort, et l’homme qui vécut le plus de temps, sans excepter Nestor. Plusieurs mythologues rapportent qu’il fut métamorphosé pour avoir tué un serpent sur le mont Cyllène ou sur le mont Cithéron. Il devint aveugle pour avoir vu Minerve nue, suivant Callimaque, et, suivant Lucien, pour avoir enseigné que les planètes étaient de l’un et de l’autre sexe.

(13) La nymphe Liriope donna le jour à un fils qu’elle appela Narcisse. Pausanias, outre la version suivie par le poëte, en rapporte une seconde bien différente, d’après laquelle Narcisse avait une sœur qui lui ressemblait beaucoup et qu’il aimait tendrement. Après l’avoir perdue, il n’eut point de plus grande consolation que d’aller contempler ses traits dans une fontaine.

(14) Fille de l’Éther et de Tellus, Écho subit une double métamorphose : celle de sa voix, par la vengeance de Junon, et celle de son corps, par le mépris de Narcisse.

(15) Rhamnusie, invoquée contre Narcisse, est le nom de Némésis, tiré du temple de Rhamnuse, bourg de l’Attique, où elle était représentée par une célèbre statue, ouvrage de Phidias.

(16) Paros, une des Cyclades, dans la mer Égée, était célèbre par la beauté de ses marbres blancs, que les sculpteurs employaient pour représenter les héros et les dieux.

(17) Penthée, roi de Thébes en Béotie, était fils d’Agavé fille de Cadmus et d’Escbion, un des Spartes, ou hommes qui naquirent des dents du dragon de Mars. Ovide a pris cette fable dans la tragédie des Bacchantes d’Euripide.

(18) Il est ici question des anciennes orgies ou fêtes de Bacchus, différentes de celles qui furent plus tard célébrées chez les Athéniens.

(19) Le thyrse était une pique ou lance entourée de pampres de vigne, ou de feuilles de lierre qui en cachaient la pointe, et l’insigne de Bacchus et de ses prêtresses.

(20) Acétès, en grec Ακοιτος (qui ne dort pas), était l’épithète convenable à un pilote, dont la vigilance ne doit jamais connaître le repos.

(21) La Méonie désigne la Lydie, appelée Méonie, du nom des Méoniens. Cependant Ovide vient de dire d’Acétès Thyrrena gente profectum, et plus bas Thyrrenus Acetes. Pour tout concilier il suffit de se rappeler que les Thyrréniens, sortis de la tige antique des Pélasges, habitèrent autrefois la Lydie. L’Étrurie fut appelée Mœnia, d’après une ancienne tradition, qui supposait qu’une colonie de Méoniens était venue s’y établir.

(22) La Chèvre Amalthée fut placée parmi les astres, pour avoir nourri de son lait Jupiter enfant, près d’Olène, ville d’Achaïe.

(23) La Constellation de Taygète était une des Pléiades.

(24) Naxos, île de la mer Égée, et une des Cyclades, était consacrée à Bacchus. Elle est appelée encore aujourd’hui Naxia, Naxie et Naxe.

(25) Opheltès était un des pirates Thyrréniens qui enlevèrent Bacchus et furent métamorphosés en poissons et en oiseaux. Hygin en nomme douze ; Ovide, vingt.

(26) Les tigres, les lynx et les panthères étaient consacrés à Bacchus. Cet entourage de monstres exprime sans doute les visions et les images fantastiques qui troublent la vue et la raison des hommes pris de vin.

(27) Agavé était fille de Cadmus et d’Hermione, femme d’Eschion, roi de Thèbes, et mère de Penthée.

(28) Autonoé, quatrième fille de Cadmus, épouse d’Aristée, fils d’Apollon et de la nymphe Cyrrène, fut mère d’Actéon. C’était encore le nom d’une des Danaïdes, femme d’Euriloque, d’une des Néréides, d’une des suivantes de Pénélope, et d’une fille de Céphéus. Autonoé signifie sage par elle-même.

(29) Les Thébaines sont appelées Isménides, du nom de l’Isménus, fleuve de la Béotie.