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les métamorphoses

la même image ; ses larmes troublent la limpidité des eaux, et l’image s’efface dans leur cristal agité. Comme il la voit s’éloigner : « Où fuis-tu ? s’écrie Narcisse ; oh ! demeure, je t’en conjure : cruelle, n’abandonne pas ton amant. Ces traits que je ne puis toucher, laisse-moi les contempler, et ne refuse pas cet aliment à ma juste fureur. » Au milieu de ses plaintes, il déchire ses vêtements ; de ses bras d’albâtre il meurtrit sa poitrine nue qui se colore, sous les coups, d’une rougeur légère ; elle parut alors comme les fruits qui, rouges d’un côté, présentent de l’autre une blancheur éblouissante, ou comme la grappe qui, commençant à mûrir, se nuance de l’éclat de la pourpre. Aussitôt que son image meurtrie a reparu dans l’onde redevenue limpide, il n’en peut soutenir la vue ; semblable à la cire dorée qui fond en présence de la flamme légère, ou bien au givre du matin qui s’écoule aux premiers rayons du soleil, il languit, desséché par l’amour, et s’éteint lentement, consumé par le feu secret qu’il nourrit dans son âme : déjà il a vu se faner les lis et les roses de son teint ; il a perdu ses forces et cet air de jeunesse qui le charmaient naguère ; ce n’est plus ce Narcisse qu’aima jadis Écho. Témoin de son malheur, la nymphe en eut pitié, bien qu’irritée par de pénibles souvenirs. Chaque fois que l’infortuné Narcisse s’écriait hélas ! la voix d’Écho répétait : hélas ! Lorsque de ses mains il frappait sa poitrine, elle faisait entendre un bruit pareil au bruit de ses coups. Les dernières paroles de Narcisse, en jetant selon sa coutume un regard dans l’onde, furent : « hélas ! vain objet de ma tendresse ! » Les lieux d’alentour répètent ces paroles. Adieu, dit-il ; adieu, répond-elle. Il laisse retomber sa tête languissante sur le gazon fleuri, et la nuit ferme ses yeux encore épris de sa beauté : descendu au ténébreux séjour, il se mirait encore dans les eaux du Styx. Les naïades, ses sœurs, le pleurèrent, et coupèrent leurs cheveux pour les déposer sur sa tombe fraternelle ; les Dryades le pleurèrent aussi ; Écho redit leurs gémissements. Déjà le bûcher, les torches funèbres, le cercueil, tout est prêt ; mais on cherche vainement le corps de Narcisse : on ne trouve à sa place qu’une fleur jaune, couronnée de feuilles blanches au milieu de sa tige.

VI. Le bruit de cet événement rendit le nom de Tirésias justement célèbre dans les villes de la Grèce : le crédit du devin était immense. Le fils d’Échion, le seul ennemi que les dieux comptent dans la famille de Cadmus, Penthée(17) le méprise ; il rit des paroles prophétiques du vieillard, et lui reproche le malheur qui a changé pour lui la lumière en ténèbres. Le vieillard secouant sa tête blanchie : « Tu serais trop heureux, dit-il, si, privés, comme les miens, de la lumière, tes yeux ne voyaient pas les fêtes de Bacchus(18). Un jour viendra, et ce jour n’est pas loin, je te le prédis, où ce nouveau dieu, Bacchus, fils de Sémélé, paraîtra dans ces murs. Si tu n’élèves pas un temple en