Page:Ovide - Œuvres complètes, Nisard, 1850.djvu/312

Cette page a été validée par deux contributeurs.
284
les métamorphoses


nelle des siècles, tu souhaiteras de pouvoir mourir, alors que le sang d’un serpent cruel, pénétrant dans ton corps à travers une blessure(70), te fera souffrir d’horribles douleurs ; immortel, les dieux te soumettront à la loi de la mort, et les trois Parques trancheront le fil de tes jours. » Il lui restait d’autres mystères à dévoiler ; un profond soupir s’échappe de son sein, et des larmes coulent sur son visage. « Le destin m’arrête, dit-elle, il m’empêche de parler davantage, et m’interdit l’usage de la voix. Étais-je donc assez avancée dans les secrets des dieux pour m’attirer ainsi leur courroux ; ah ! j’eusse bien mieux aimé ignorer l’avenir ! Déjà la forme humaine semble m’être ravie ; l’herbe me plaît déjà, et je veux m’en nourrir ; déjà un mouvement irrésistible m’emporte dans la vaste plaine ; je prends, comme mon père, la forme du cheval ; mais pourquoi le suis-je tout-à-fait, tandis que mon père ne l’est qu’à demi ? » Elle dit ; mais ses plaintes s’exhalent en paroles confuses et mal articulées. Bientôt ce ne furent plus des paroles, ce n était pas encore le cri d’une cavale, mais une voix qui voudrait l’imiter ; peu d’instants après, elle pousse de véritables hennissements, ses bras s’agitent sur l’herbe, ses doigts se resserrent, et ses ongles unis ne forment plus qu’une corne légère ; sa bouche s’agrandit, son cou s’allonge, les plis flottants de sa robe se changent en queue, ses cheveux épars ne sont plus qu’une épaisse crinière qui flotte à droite sur son cou ; elle prend une voix et une forme nouvelle, et tire même un nouveau nom de sa métamorphose.

VI. Le fils de Philyre pleurait, et vainement, dieu de Delphes, il implorait ton secours. Tu ne pouvais révoquer l’arrêt du puissant Jupiter ; et quand tu l’aurais pu, tu n’étais point près de lui : tu vivais dans les campagnes de l’Élide et de la Messénie. C’était le temps où, vêtu comme un pâtre d’une peau grossière, tu portais de la main droite un bâton d’olivier sauvage, et de l’autre une flûte formée de sept tuyaux d’inégale longueur. Tout entier à l’amour, tandis que tu charmais tes ennuis aux sons du chalumeau, tes génisses mal gardées s’avancèrent, dit-on, dans les champs de Pylos ; le fils de Maïa les aperçut, et, les détournant avec son adresse ordinaire, il les cacha au fond d’un bois. Ce larcin n’avait eu pour témoin qu’un vieillard connu dans les campagnes voisines sous le nom de Battus. Le riche Nélée(71) avait commis à sa garde ses bois, ses gras pâturages et les troupeaux de ses nobles cavales. Mercure le redoute, et le tirant à part d’une main caressante : « Qui que tu sois, étranger, lui dit-il, si l’on réclame ces troupeaux, réponds que tu ne les a point vus ; et pour qu’un tel service ne reste pas sans récompense, reçois, pour prix de ton silence, cette belle génisse ; » et il la lui donne. L’étranger l’accepte en ajoutant : « Retire-toi sans crainte : cette pierre plutôt que moi révélera ton larcin. » En même