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les métamorphoses


blessure, et des flots de sang rougissent ses membres d’albâtre. Elle s’écrie : « Je devais expier ma faute, ô Phébus ! mais non avant d’être mère : mon trépas fait aujourd’hui deux victimes. » À ces mots, sa vie s’écoula avec son sang, et le froid de la mort s’empara de son corps inanimé. Un repentir, hélas ! tardif reproche à son amant sa cruelle vengeance ; il se maudit lui-même d’avoir prêté l’oreille au corbeau, d’avoir cédé aux transports de sa fureur ; il maudit l’oiseau qui lui a révélé le crime et armé son ressentiment ; il maudit la corde de son arc, son arc lui-même et sa main, et avec elle les traits qu’elle a témérairement lancés. Il relève Coronis, la réchauffe entre ses bras, et par des secours tardifs s’efforce de vaincre les destins : il épuise en vain les secrets de son art salutaire. Inutiles efforts ! il voit s’apprêter le bûcher dont les flammes vont dévorer les restes de son amante. Alors des gémissements (car les larmes ne peuvent baigner le visage des immortels) s’exhalent du fond de son cœur : ainsi gémit une génisse quand elle voit balancer en l’air la massue qui brise d’un coup retentissant la tête de son jeune nourrisson. Après avoir répandu sur le sein de Coronis des parfums qui ne sauraient plaire à son ombre, après lui avoir donné ses derniers embrassements, et payé à son injuste trépas un juste tribut de douleurs, Apollon ne peut souffrir que le même bûcher réduise en cendres les fruits de ses amours. Il le retire des flammes et du sein de sa mère ; et, après l’avoir porté dans l’antre du centaure Chiron(67), il punit le corbeau qui attendait la récompense de son fidèle récit, en lui ôtant le droit de paraître parmi les oiseaux à blanc plumage.

V. Cependant le monstre s’applaudissait d’avoir pour élève un rejeton des dieux, et l’honneur de sa tâche le remplissait d’orgueil. Tout à coup arrive, parée de blonds cheveux qui couvrent ses épaules, la fille du Centaure, née jadis de la Nymphe Chariclo sur les bords d’un fleuve rapide : Ocyrhoë est le nom qu’elle reçut de sa mère(68). C’était peu pour elle d’avoir appris les secrets de son père ; sa voix révélait les arrêts du destin. À peine a-t-elle senti s’allumer dans son âme les fureurs prophétiques, à peine, échauffée par le souffle du dieu qu’elle portait dans son sein, a-t-elle jeté les yeux sur l’enfant : « Pour le salut du monde, grandis, jeune enfant(69) ! s’écrie-t-elle. Que de mortels te devront l’existence ! il te sera donné de rappeler les âmes dans les corps ; mais pour l’avoir tenté une fois malgré le courroux des dieux, la foudre de ton aïeul t’empêchera de le tenter encore ; dieu, tu deviendras un corps inanimé, puis un dieu renaîtra de cette dépouille mortelle, et deux fois tu renouvelleras ta destinée. Et toi aussi, mon père chéri, toi qui n’es plus mortel, et que la loi de ta naissance appelle à voir la succession éter-