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commande au Styx d’entendre ce serment. La colère de Junon s’apaise : soudain, la nymphe reprend sa forme première, et redevient ce qu’elle fut autrefois : son poil s’efface, ses cornes disparaissent, l’orbite de ses yeux se rétrécit, sa bouche se resserre, ses épaules et ses mains renaissent, la corne de ses pieds s’allonge en cinq ongles distincts ; il ne lui reste enfin de la génisse que son éclatante blancheur. La nymphe se redresse sur ses deux pieds qui suffisent pour la porter ; mais elle n’ose parler encore dans la crainte de mugir comme une génisse, et sa bouche timide, comme pour s’essayer à la parole, ne fait entendre que des mots entrecoupés. Déesse aujourd’hui, de nombreux prêtres, vêtus de lin, desservent avec pompe ses autels. On lui donne pour fils Épaphus(50), né, dit-on, du sang illustre de Jupiter, et les villes de l’Égypte élèvent des temples au fils à côté de ceux de sa mère. Il avait le même âge et le même caractère que Phaéton, fils du Soleil. Un jour que celui-ci, plein d’une orgueilleuse jactance, lui disputait l’avantage de la naissance, et se vantait d’avoir Phébus pour père, le petit-fils d’Inachus ne put supporter tant d’orgueil : « Insensé ! lui dit-il, sur la foi des discours de ta mère, tu nourris ta fierté du mensonge d’une illustre origine. » Phaéton rougit, et la honte étouffant sa colère, il courut conter à Clymène(51), sa mère, l’insulte d’Épaphus : « Pour comble de douleur, ô ma mère ! dit-il, moi, si bouillant et si fier, j’ai dû garder le silence. Quelle honte ! on a pu me faire un pareil affront, et je n’ai pu le repousser ! Ah ! si je suis du sang des dieux, fais éclater à mes yeux la preuve d’une si haute naissance. » Il dit, et jetant les bras autour du cou de sa mère, il la conjure par sa tête, par celle de Mérops, son époux, par l’hymen de ses sœurs, de lui faire connaître son père à des signes certains. Qui dira si Clymène fut plus touchée des prières de son fils, qu’irritée de son propre outrage ? Levant les mains au ciel, et les yeux fixés sur le soleil : « Par ces rayons étincelants, s’écrie-t-elle, par cet astre qui nous voit et qui nous entend, je te le jure, ô mon fils ! ce Soleil que tu contemples, ce Soleil, arbitre du monde, est ton père. Si je t’abuse, puisse-t-il me retirer sa lumière, et briller aujourd’hui à mes yeux pour la dernière fois. Tu peux, au prix d’une courte fatigue, connaître le palais de ton père. L’Orient, où il réside, touche à cette contrée. Si tu le désires, monte à son palais, et va l’interroger lui-même. »

Phaéton tressaille de joie à ces paroles de sa mère ; il se croit déjà transporté dans les cieux. Il traverse l’Éthiopie son empire, et l’Inde placée sous la zone brûlante, et vole impatient aux lieux où se lève le Soleil, son père.


(1) Ovide n’est ici que l’écho d’Hésiode (Théog., v. 116) :

Ἥτοι μεν πρωτιστα χάος γένετ’· αὐτὰρ ἕπειτα
Γαί εὑρύστερνος, πάντων ἔδος ἀσφαλὲς αἰει
Ἄθανάτων,

Aristophane, Lucrèce et Diodore de Sicile nous ont transmis les mêmes notions cosmogoniques d’après le système des anciens philosophes, qui admettaient une matière première, existant de toute éternité, dans laquelle étaient renfermés, informes et confus, les principes de tous les êtres.

(2)

Nec circumfuso pendebat in aere tellus
Ponderibus librata suis
………

Ne peut-on pas croire, d’après ce beau vers, que les anciens philosophes ont soupçonné la gravitation que Newton a démontrée ?

(3) Le mot Zone est tiré du grec, et signifie ceinture. La division du ciel en zones se trouve aussi dans Virgile, Georg., liv. I, v. 233 et suiv. dans Tibulle, liv. IV, élég. 4, v. 452-474, et dans Claudien, Enlev. de Pros., liv. 4, v. 257-265.

(4) Eurus est le vent d’Orient.

(5) Sabata est aujourd’hui l’Arabie Pétrée. Elle tirait son ancien nom de celui que portait sa capitale avant de s’appeler Pétra. Voyez Strabon, liv. XVI, p. 767.

(6) Zéphire, en grec Ζεφυρος, et en latin Favonius, vent d’occident.

(7) Borée est chez les Grecs le même qu’Aquilon chez les Latins ; c’est le vent du Septentrion.

(8) Auster est le vent qui souffle du sud.

(9) Éther est le nom donné à l’air qui est au-dessus de celui de l’atmosphère.

(10) Ovide suit ici la doctrine de Platon, qui plaçait les astres et les dieux au rang des êtres animés.

(11) Hésiode, Eschyle, Apollodore, Pausanias, Apollonius de Rhodes, ont raconté la fable de Prométhée.

Brucker (Hist. phil., t. I, p. 44, c. 4, de Phil. græc. fab., p. 368-572) s’efforce de découvrir, à travers les traditions fabuleuses, la vérité historique concernant ce personnage, célèbre dans l’antiquité. Le résultat de ses recherches, c’est que Prométhée fut un homme fort savant pour son époque.

(12) Les anciens poètes ne sont pas d’accord sur le nombre des âges. Hésiode en compte cinq au lieu de quatre ; Ovide omet l’âge des héros, après l’âge d’airain. Virgile (Georg., liv. I, v. 425 et suiv. Énéide, liv. VIII, v. 344 et suiv.) et Tibulle (liv. I, élég. 5, v. 55 et suiv.) n’en mentionnent que deux.

(13) Les lois romaines, gravées sur des tables d’airain, étaient exposées dans les places publiques, afin que le peuple pût les lire, et que la jurisprudence ne changeât pas selon le caprice ou l’ambition des magistrats.

(14) Ovide confond ici deux mythes séparés dans d’autres auteurs, qui distinguent la guerre des Titans de celle des Géants : l’une fut faite par les princes de la famille de Jupiter ; l’autre par quelques brigands qu’on appela enfants de la terre, parce qu’on ignorait leur origine.

Cette fable semble avoir une origine égyptienne ; Banier, voulant ramener à un sens raisonnable ce que les poètes ont publié des Géants, pense que cette guerre est celle que Typhon fit à son père Osiris ; que les cent têtes de Typhon indiquaient son génie, ses talents, son adresse ; ses cent bras marquaient la force de son armée, ou le nombre de ses officiers ; les serpents qu’il avait au bout de ses doigts et de ses cuisses étaient l’emblème de sa ruse et de sa finesse.

(15) L’Olympe, célèbre montagne de la Grèce, était située entre la Thessalie et la Macédoine. Les Turcs l’appellent Alem-Daghi, c’est à dire le mont du ciel.

(16) Pélion Πελιυς ou Πελιος, mont de la Thessalie.

(17) L’Ossa, montagne de la Thessalie, aujourd’hui Cossoro ou Oliva : c’était la demeure des Centaures.

(18) Lycaon était roi d’Arcadie, fils de Pélasgus ou de Titan et de la Terre, et contemporain de Cécrops.

(19) Ovide, dans cette topographie du ciel, paraît avoir en vue les beaux édifices de Rome, et surtout le quartier où était situé le palais d’Auguste.

(20) Le Ménale, montagne du Péloponèse, dans l’Arcadie. Elle reçut son nom de Ménalus, fils de Lycaon, roi de cette contrée ; c’était la demeure du dieu Pan.

(21) Le Cyllène, le mont le plus élevé du Péloponèse, dans l’Arcadie ; Mercure avait un temple et un bois de citronniers sur la cime du mont Cyllène, de là son nom de Cyllenes.

(22) Le Lycée, montagne d’Arcadie. Sur son sommet, qu’on appelait sacré, étaient deux temples, élevés l’un à Jupiter, l’autre au dieu Pan.

(23) L’Arcadie, contrée de la Grèce dans le Péloponèse, située entre l’Achaïe et la Messénie, l’Élide et le pays d’Argos. Elle tire son nom d’Arcus, son troisième roi.

(24) Érynnis ou Érynnies, était le nom donné par les Grecs aux Euménides ou Furies.

(25) Voici vraisemblablement l’origine de cette tradition. Au temps de Deucalion, venu de l’Asie dans la Grèce vers l’an 1574 avant Jésus-Christ, les fleuves de Thessalie, grossis par des pluies abondantes, franchirent leurs digues et se répandirent sur la Thessalie et sur les contrées voisines. Deucalion et ceux de ses sujets qui purent échapper à l’inondation se retirèrent sur le Parnasse : quand les eaux se furent écoulées, ils redescendirent dans la plaine. Leurs enfants sont ces pierres mystérieuses qui, jetées par Deucalion et Pyrrha, repeuplèrent le monde.

(26) Le Parnasse, en latin Parnassus, montagne de la Phocide. Les anciens la croyaient placée au milieu de la terre, ou plutôt de la Grèce.

(27) Deucalion, fils de Prométhée, petit-fils de Japet, régna dans les environs du Parnasse en Thessalie.

(28) Coryce, antre consacré aux Muses, situé au pied du Parnasse ; on donnait aux Muses le nom de Corycies ou Corycides.

(29) Céphise, fleuve de la Béotie, était célèbre par la limpidité de ses eaux ; Céphise fut père de Narcisse, et reçut les honneurs divins.

(30) Les Jeux Pythiques ou Pythiens furent institués, selon Pausanias, par Jason ou Diomède ; selon le Scoliaste de Pindare, par Euricholus de Thessalie, qui n’en fut que le restaurateur, au dire de Pausanias.

(31) Le Pénée prend sa source au pied du Pinde, traverse la Thessalie d’occident en orient, et va se jeter dans la mer de Thermaïque. Sur ses bords croissaient un grand nombre de lauriers : c’est là sans doute ce qui a donné lieu à la fable de Daphné, dont le nom grec Δάφνη signifie laurier.

(32) Claros, île de la mer Égée, non loin de Colophon. Il y avait là un temple célèbre et un oracle d’Apollon.

(33) Ténédos, auparavant Leucophrys, île de la mer Égée, entre Mytilène et l’Hellespont, dans le voisinage de Troie. Apollon y était honoré sous le nom de Smyntheus.

(34) Palace, ville de Lycie, dans l’Asie Mineure.

(35) Plusieurs commentateurs pensent que devant le palais des Césars on voyait un chêne planté entre deux lauriers. (Ovide, Tristes, liv. I, 3, et Valère-Maxime, 1. XI, c. 5.)

(36) Hémonie était le nom donné à la Thessalie, selon quelques auteurs, par Hæmonia, fille de Deucalion et de Pyrrha, et, selon d’autres, par Æmonius, fils de Pelasgus.

(37) Le Sperchius, fleuve de Thessalie, prenait sa source dans le mont Œta, et se jetait dans le golfe Maliaque, aujourd’hui Négrepont.

(38) L’Énipée, rivière de Thessalie, sortait du mont Othrys et se jetait dans l’Apidan.

(39) L’Apidan, autre rivière de Thessalie, a sa source dans les montagnes de la Perrhébie, près du mont Olympe.

(40) L’Amphryse, fleuve de Thessalie.

(41) L’Éas, rivière de l’Épire, aujourd’hui l’Albanie ; on l’appelle Polina.

(42) Inachus était Gis de l’Océan, selon les poètes, et, suivant Apollodore, le premier roi d’Argos, comme Argos fut le plus ancien royaume connu de la Grèce.

(43) Argus surnommé πανοπτες, c’est-à-dire tout yeux, probablement à cause de sa vigilance et de sa sagesse. Fils d’Arestor, et arrière-petit-fils d’Argus, fils de Jupiter et de Niobé, il bâtit Argos et lui donna son nom.

(44) Cette Pléiade était Maïa, fille d’Atlas, roi de Mauritanie, et de Pléione, fille de l’Océan.

(45) Le caducée était ainsi nommé du latin cadere, tomber, parce qu’on lui attribuait la vertu d’apaiser les querelles et de terminer les différends.

(46) Naïades ou Naïdes (du mot grec ναιειν couler) ; c’étaient les divinités des fleuves et des fontaines ; elles séjournaient quelquefois dans les bois, ou folâtraient dans les prairies. Elles étaient filles de Jupiter.

(47) Les Hamadryades étaient préposées, ainsi que les Dryades, à la garde des forêts. Il n’était permis de couper les arbres que lorsqu’on était certain que les Dryades les avaient abandonnés.

(48) Nonacris, montagne et ville de l’Arcadie, non loin du fleuve Ladon.

(49) Ladon, fleuve d’Arcadie, célèbre par la limpidité de ses eaux.

(50) Jupiter rendit Io mère en la touchant de sa main.

(51) Plusieurs femmes célèbres des temps héroïques ont porté le nom de Clymène ; entre autres la mère du divin Homère. Celle qu’a chantée Ovide était femme Mérops, roi de l’île de Cos ; Apollon la rendit mère de Phaétuse, de Phaéton, de Lampétrie, de Lampéluse ou Phébé.