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de cette contrée. Vouée au culte de la déesse d’Ortygie et par ses goûts et par sa chasteté, vêtue comme elle, les yeux trompés l’auraient prise pour la fille de Latone, si son arc d’ivoire eût été d’or comme celui de la déesse ; et cependant on s’y méprenait encore. Un jour qu’elle revenait du mont Lycée, le dieu Pan, qui hérisse sa tête de couronnes de pin, l’aperçut et lui adressa ces paroles. » Mercure allait les rapporter ; il allait dire comment la nymphe, insensible à ses prières, avait fui par des sentiers mal frayés jusqu’aux rives sablonneuses du paisible Ladon(49) ; comment alors, arrêtée dans sa course par les eaux du fleuve, elle avait conjuré les naïades, ses sœurs, de la sauver par une métamorphose ; comment le dieu, croyant déjà saisir la nymphe, au lieu du corps de Syrinx n’embrassa que des roseaux ; comment ces roseaux qu’il enflait, en soupirant, du souffle de son haleine, rendirent un son léger, semblable à une voix plaintive ; comment, charmé du nouvel instrument et de sa douce harmonie, il s’écria : « Je conserverai du moins ce moyen de m’entretenir avec toi » ; comment enfin, unissant avec de la cire des roseaux d’inégale grandeur, il en forma l’instrument qui porta le nom de la nymphe. Mais au moment de faire ce récit, le dieu qui reçut le jour sur le mont Cyllène s’aperçoit qu’Argus, succombant au sommeil, a fermé tous ses yeux. Il cesse de parler, et les touchant de sa baguette puissante, il appesantit encore les pavots dont ils sont chargés. Soudain, de son glaive recourbé, il abat la tête inclinée du monstre, à l’endroit où elle se joint au cou ; précipité du haut de la montagne, le tronc roule, et souille en tombant la roche ensanglantée. Argus, te voilà gisant et sans vie ; la lumière qui brillait dans tes regards s’est à jamais éteinte, et tes cent yeux sont couverts d’une éternelle nuit ! Recueillis par la fille de Saturne, et répandus sur le plumage de l’oiseau qui lui est consacré, ils éclatent comme des pierres précieuses sur sa queue étoilée.

Cette nouvelle injure enflamme le courroux de Junon, et, sans différer sa vengeance, elle jette l’image de l’horrible Érinnys dans le cœur et devant les yeux de l’Argienne aimée de Jupiter, cache au fond de son âme l’aiguillon d’une aveugle fureur, qui l’emporte épouvantée dans tout l’univers. Tu restais, ô Nil, comme dernier témoin de ses immenses fatigues ! À peine arrivée sur les bords du fleuve, elle se laisse tomber à genoux sur l’arène ; son cou se penche en arrière, sa tête se dresse, et, levant ses yeux vers le ciel (elle ne peut, hélas ! y lever que ses yeux), par des soupirs, des larmes et des mugissements lamentables, elle semble se plaindre de Jupiter, et lui demander la fin de ses maux. Le dieu, pressant alors dans ses bras sa compagne, la conjure de mettre enfin un terme à sa vengeance : « Bannissez toute crainte pour l’avenir, dit-il ; Io ne sera plus pour vous un sujet de douleur. » Il le jure et il