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dont elle a si souvent surpris les larcins infidèles, et, ne le trouvant point dans le ciel : « Je m’abuse, dit-elle, ou je suis outragée, » et, s’élançant du haut de l’Olympe sur la terre, elle commande aux nuages de s’éloigner. Mais Jupiter avait prévu l’arrivée de son épouse, et déjà la fille d’Inachus était changée en une blanche génisse. Elle est belle encore sous cette forme nouvelle ; la fille de Saturne, en dépit d’elle-même, admire sa beauté. Quel est son maître, son pays, son troupeau ? Elle veut tout savoir, comme si la vérité ne lui était pas connue. Jupiter, pour mettre fin à ces questions, dissimule et répond que la terre l’a enfantée. Junon la demande en présent ; que fera son époux ? Il est cruel de livrer l’objet de son amour ; mais un refus serait suspect : ce que la honte lui conseille, l’amour le lui défend, et sans doute l’amour eût triomphé ; mais Jupiter peut-il refuser un don si léger à sa sœur, à la compagne de sa couche, sans qu’elle soupçonne que c’est tout autre chose qu’une génisse ? Maîtresse de sa rivale, Junon ne bannit point toute inquiétude ; elle ne cesse de craindre Jupiter et de nouveaux larcins, qu’après avoir livré Io à la garde d’Argus(43), fils d’Arestor. Cent yeux couronnaient la tête de ce monstre ; le sommeil qu’ils goûtaient tour à tour, n’en fermait que deux à la fois ; les autres restaient ouverts et comme en sentinelle. Quelle que fût la place d’Argus, ses regards tombaient sur Io, et, quoique placé derrière elle, elle était devant ses yeux. Le jour, il la laisse paître ; mais quand le soleil est descendu sous la terre, il l’enferme, et attache d’indignes liens à son cou. Infortunée ! elle n’a pour aliments que les feuilles des arbres et l’herbe amère ; pour boisson, que l’eau bourbeuse ; pour lit, que la terre souvent dépouillée de gazon. Plus d’une fois, pour implorer Argus, elle veut lui tendre ses bras, et ne les trouve plus ; elle veut se plaindre, il ne sort de sa bouche que des mugissements ; elle en redoute le bruit, et sa propre voix l’épouvante. Elle s’approche un jour de ces rives, témoins des jeux de son enfance, des rives de l’Inachus : à peine a-t-elle vu dans l’onde du fleuve ses cornes nouvelles, saisie d’horreur, elle recule devant son image. Les Naïades la méconnaissent, Inachus lui-même la méconnaît. Cependant elle suit son père, elle suit ses sœurs, se laisse caresser et s’offre d’elle-même à leurs regards qu’étonne sa beauté. Le vieil Inachus cueille des herbes et les lui présente ; elle lèche les mains de son père, elle les couvre de baisers, et ne peut retenir ses larmes. Que n’a-t-elle encore l’usage de sa voix ! elle implorerait son secours, elle dirait son nom et ses malheurs ; mais, à défaut de parole, des caractères qu’elle trace sur le sable, à l’aide de son pied, révèlent sa triste métamorphose. « Malheureux que je suis ! » s’écrie-t-il, et il reste suspendu aux cornes de