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Rome, une maison près du Capitole ; dans les faubourgs, de vastes jardins situes sur une ; colline, entre la voie Claudienne et la voie Flaminienne. La douceur de son commerce et l’agrément de son esprit lui avaient fait un grand nombre d’amis. La liste serait longue des personnages distingués qui faisaient sa société habituelle ; il suffira de nommer Varron, le plus savant des Romains ; Hygin, le mythographe et le bibliothécaire du palais de l’empereur ; Celse, qu’on a nommé l’Hippocrate des Latins ; Carus, précepteur des jeunes Césars ; M. Cotla, consul à l’époque où parut l’Art d’aimer. Rufin, qui avait été questeur en Asie ; Suillius, ami de Germanicus ; Sextus Pompée ; Brutus, le fils, dit-on, du meurtrier de César, etc. Mais de tous ses amis, le plus ancien et le plus cher était Maxime, qui descendait des Fabius. Maxime avait épousé Marcia, parente à la fois de la femme d’Ovide et de l’empereur, dont il fut longtemps l’ami et le confident. Ovide, ainsi entouré des amis d’Auguste, paraissait à jamais assuré de la faveur du prince. Il était riche ; il n’avait point d’ennemis ; ses vers faisaient les délices de Rome ; il vivait enfin dans la possession de tous les biens dont il pouvait être avide, lorsqu’un coup terrible, imprévu, vint le frapper. Un ordre d’Auguste relégua sur les bords du Pont-Euxin, aux dernières frontières de l’empire, chez les Barbares, sur une terre inculte et perpétuellement glacée, ce poète, naguère son ami, et déjà âgé de cinquante-deux ans. Ovide a tracé, dans la plus touchante de ses élégies, le tableau des moments qui précédèrent son départ : c’était la nuit du 19 novembre 763 de Rome ; sa maison retentissait des gémissements de ceux de ses amis restés fidèles à sa fortune ; sa fille était alors en Afrique avec son mari, qui y exerçait on ne sait quelle charge. Sa femme invoquait le ciel en sanglotant ; à genoux, les cheveux épars, elle se traînait aux pieds de ses dieux domestiques et baisait les foyers éteints. Ovide voulait se donner la mort ; sa femme, ses amis l’en détournèrent à force de prières et de larmes, et Celse, le pressant sur son cœur, lui fit espérer des temps plus heureux. Le poète, maudissant son génie, brûla avec plusieurs de ses ouvrages celui des Métamorphoses, qui n’était pas encore terminé, mais dont heureusement il s’était déjà répandu plusieurs copies dans Rome. Enfin le jour commençait a paraître ; un des gardes d’Auguste, chargé de l’accompagner, hâte le départ : sa femme veut le suivre dans son exil ; mais il la presse de rester à Rome pour tâcher de fléchir Auguste : elle cède, se jette éplorée dans ses bras, l’étreint une dernière fois et tombe bientôt évanouie, car déjà on avait emmené Ovide. Ce n’était ni un arrêt du sénat ni la sentence d’un tribunal qui avait condamné Ovide, mais un simple édit de l’empereur, il n’était ni exilé ni exporté, mais relégué à l’extrémité de l’empire, et cette dernière peine laissait à ceux qui la subissaient leur titre de citoyen et la jouissance de leurs biens. Toutefois un de ses amis, dans la crainte que l’empereur, achevant de violer les lois, ne dépouillât le condamné, lui fit l’offre généreuse de la moitié de sa fortune. Le proscription dont le poète fut l’objet s’étendit jusque sur ses ouvrages, qu’on enleva des trois bibliothèques publiques de Rome. Maxime, absent à l’époque de son départ, le rejoignit à Brindes et lui fit ses derniers adieux.

Ovide nous a laisse l’itinéraire de son voyage, qui ne fut pas sans périls. Le vaisseau qui le portait flotta longtemps sur l’Adriatique, battu par d’horribles tempêtes. Le poète mit pied à terre dans la Grèce, traversa l’isthme de Corinthe, et monta sur un second vaisseau au port de Cenchrée, dans le golfe Saronique. Il fit voile sur l’Hellespont et passa à pied par le pays des Bisloniens, peuple féroce de la Thrace, dont il éprouva la cruauté. Sur un troisième vaisseau, il traversa la Propontide et le Bosphore de Thrace ; et, après une longue navigation, il parvint, sur la rive gauche du Pont-Euxin, au lieu de son exil, à la ville de Tomes, située vers les bouches du Danube, et sans cesse attaquée par les Daces, les Gèles, les Jazyges et les autres peuples armes contre la domination romaine, qui s’arrêtait là. Il nous faut maintenant dire quelques mots du problème proposé depuis des siècles à la sagacité des savants de tous les pays, c’est-à-dire de la véritable cause de l’exil d’Ovide. On ferait de gros volumes de toutes les conjectures hasardées sur cette question, qui, seule, a été le sujet de livres entiers ; et l’on peut aujourd’hui élever jusqu’à douze le nombre des systèmes qu’a fait imaginer l’examen de ce point curieux d’histoire littéraire.

Ovide attribue son exil à deux causes, à la publication de l’Art d’aimer, qui n’en fut certainement que le prétexte, et à une erreur, à une faute qu’il a commise, mais sur laquelle il a partout gardé le silence :

Perdiderint quum me duo crimina, carmen et error ;
Alterius facti culpa silenda mihi est.

Et cette faute dut être surtout celle de ses yeux :

Cur aliquid vidi ? cur noxia lumina feci ?

Enfin ses amis et sa maison la partagèrent avec lui :

Quid referam comitumque nefas famulosque nocentes ?

Telles sont les discrètes révélations qui ont en partie servi de texte à toutes les conjectures des érudits. Le champ était vaste, et ils ont largement usé du droit que semblait leur donner le vague même de la question d’en faire sortir les explications les plus bizarres. Quelques-uns, au contraire, ont voulu, mal