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VIII
NOTICE


écrivains qui s´étaient déjà essayés dans ce genre, à l´exemple du prince, lequel, au rapport de Suétone, avait composé une tragédie d’Ajax, connue seulement par le trait d´esprit dont elle fut pour lui l’occasion quand il la détruisit.

La postérité ne peut prononcer sur le talent dont Ovide fit preuve dans cette nouvelle carrière, puisque sa Médée est aujourd’hui perdue. On a nié qu’il eût pu être un bon auteur dramatique, en ce qu’il est trop souvent, dans ses autres ouvrages, hors du sentiment et de la vérité. Un fait qu’on n’a pas remarqué donne à cette assertion quelque vraisemblance ; c’est que Lucain, peu de temps après, composa une tragédie sur le même sujet ; il ne l’aurait point osé, si celle d’Ovide eût été réputée un chef-d’œuvre. Toutefois elle jouit longtemps d’une grande renommée : « Médée, dit Quintilien, me paraît montrer de quoi Ovide eût été capable, s’il eût maîtrisé son génie au lieu de s’y abandonner ; » et l’auteur, inconnu mais fameux, du Dialogue sur les orateurs, met cette pièce au-dessus de celles de Messala et de Pollion ; qu’on a surnommé le Sophocle romain, et à côté du Thyeste de Varius, le chef-d’œuvre de la scène latine. Deux vers, voilà ce qui reste de la Médée d’Ovide, parce qu’on les trouve cités, l’un, dans Quintilien :

Servare potùi perdere an possim rogas ?

l’autre, dans Sénèque le rhéteur :

Feror huc illuc, ut plena deo.

Ovide, après avoir chanté l’amour, voulut en donner des leçons, fruit d’une heureuse expérience, et composer, pour ainsi dire, le code de la tendresse ou plutôt de la galanterie : il écrivit l´Art d’aimer. On l’a souvent accusé d’avoir, par cet ouvrage, ajouté à la dépravation des mœurs romaines ; mais rien n’y approche de la licence obscène de plusieurs pièces de Catulle et de quelques odes d’Horace. Eût-il osé, s’il se fût cru lui-même aussi coupable, s’écrier devant ses contemporains : « Jeunes beautés, prêtez l’oreille à mes leçons ; les lois de la pudeur vous le permettent : je chanterai les ruses d’un amour exempt de crime, et mes vers n’offriront rien que l’on puisse condamner ! » Si ces mots ne sont pas une secrète ironie ou un piège adroit tendu à l’innocence curieuse des jeunes filles, ils montrent en lui, ainsi qu’on l’a remarqué, une singulière illusion. Martial lui-même, il est vrai, dit aussi de ses vers que les jeunes filles pourront les lire sans danger ; mais ces exemples semblent au moins prouver que beaucoup d’expressions dont l’impureté nous blesse n’avaient pas chez les anciens ce caractère et cette portée. Le véritable tort d’Ovide est d’avoir enseigné non pas l’amour, mais à s’en faire un jeu, à en placer le plaisir dans l’inconstante et la gloire dans l’art de tromper sans cesse. Il fut au reste, et c’était justice, la première victime de sa science pernicieuse ; car sa meilleure élève fut sa maîtresse elle-même, laquelle, un jour, le trahit même en sa présence, et tandis qu’il feignait de dormir après un joyeux souper.

L´Art Aimer obtint un grand succès à Rome ; on ne se contenta pas de le lire, on le mit en ballet, et il fut pendant longtemps le sujet de représentations mimiques, où l’on en déclamait des passages toujours applaudis. Ovide continua de jouir de la faveur d’Auguste, bien qu’il se bornât à le flatter dans ses vers et fréquentât peu le palais des Césars ; car, malgré la licence de ses écrits, ses goûts étaient restés simples et ses mœurs devenues presque austères. Il se plaisait à cultiver lui-même la terre de ses jardins, à greffer ses arbres, à arroser ses fleurs. Il n’aimait point le jeu. À table, il mangeait peu et ne buvait guère que de l’eau, et il est presque le seul des anciens qui, à l’occasion de l’amour, n’en ait pas, comme on l’a dit, chanté le plus déplorable égarement. Il ne connut point l’envie ; aussi (et il se plaît à le rappeler souvent) la satire respecta-t-elle et ses ouvrages et ses mœurs.

Après avoir donné des leçons de l’art d’aimer, Ovide, comme pour en expier le tort, et se faire pardonner un ouvrage « écrit dans la fougue des passions, » voulut enseigner l’art contraire, celui de ne plus aimer, et il composa le Remède d’amour, « ouvrage de sa raison », dit-il ; mais il oublia parfois son nouveau rôle, et le lecteur étonné retrouve dans ce poëme les inspirations de la muse licencieuse qui avait souillé l’autre ; d’où l’on n’a pas manqué de dire que le remède était pire que le mal. Plaire était toute une science aux yeux d’Ovide ; il a voulu l’épuiser et en donner comme un traité complet. Une des parties de ce traité est un petit poème, en vers élégiaques, sur l’art de soigner son visage (de Medicamine facici), où il donne la formule des diverses pommades qui enlèveront les taches du visage et les bourgeons de la peau, etc., où, après les secrets de la composition, il révèle ceux de la manipulation, et indique, avec une exactitude rigoureuse, la dose de chaque ingrédient. Ovide, après ces ouvrages frivoles, en composa de plus graves, et commença les Métamorphoses et les Fastes, ses véritables titres. Il avait perdu son père et sa mère, morts tous deux dans un âge avancé. Sa famille, après eux, se composait d’une femme adorée, issue du sang illustre des Fabius, et la troisième qu’il épousa ; d’une fille nommée Pérille, dont il vante les succès dans la poésie lyrique, et qu’il avait mariée à Cornélius Fidus, dont Sénèque raconte qu’il eut un jour la faiblesse de pleurer en plein sénat, parce qu’un certain Corbulon l’y avait appelé autruche pelée. Seul héritier du bien de ses pères, Ovide possédait à Sulmone d’assez beaux domaines ;à