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mes sacrifices. Car, aux approches de l’aurore, lorsque déjà ma lampe était mourante, à l’heure où apparaissent d’ordinaire les songes véritables, le fuseau tomba de mes doigts languissants de sommeil, et j’appuyai ma tête sur mon coussin. Alors, il me sembla voir réellement, sur les ondes soulevées par le vent, un dauphin qui nageait. Lorsque le flot l’eut jeté suc le sable du rivage, l’onde et la vie l’abandonnèrent, hélas ! en même temps. Quel que soit ce présage, je crains ; et toi, ne ris pas de mes songes ; ne te confie qu’à une mer calme. Si tu n’épargnes point tes jours, épargne au moins ceux d’une jeune fille qui t’est chère, et qui ne vivra jamais que si tu vis[1]. Cependant les ondes apaisées donnent l’espoir d’une trêve prochaine ; alors ouvre à ta poitrine une route facile et sûre. En attendant, et puisque tu ne peux encore traverser la mer, qu’une lettre vienne calmer les angoisses de l’attente.


ACONCE À CYDIPPE

Bannis la crainte : ici, tu n’as point de serment nouveau à faire à un amant ; c’est assez de t’être une fois promise à moi. Lis tout ; puisse ainsi ton corps être délivré de sa langueur [2] ! Je souffre moi-même de ta moindre souffrance. Pourquoi la honte que tu éprouves avant cette lecture ? Car je soupçonne que, comme dans le temple de Diane, ton front pudique a rougi. C’est un hymen, c’est la foi jurée, ce n’est pas un crime que je réclame : c’est en époux légitime et non point en adultère que j’aime. Tu dois te rappeler les paroles qu’un fruit détaché d’un arbre, et lancé par moi, porta jusque dans tes chastes mains ; tu y trouveras que tu as promis ce que je désire, si tu n’as pas oublié cette promesse avec les mots que tu as lus. Je l’ai craint, en voyant le courroux de la déesse tomber sur toi : c’était à toi, jeune fille, plutôt qu’à la déesse qu’il convenait de s’en souvenir[3]. Je ressens maintenant la même crainte, mais elle a pris plus de force et d’empire, et ma flamme s’est accrue par les délais. Cet amour qui ne fut jamais médiocre, le temps et l’espoir que tu m’avais permis n’ont fait que l’augmenter. Tu m’avais donné l’espérance. Mon ardent amour a cru à tes serments. Tu ne peux nier ce fait qui a pour témoin une déesse. Présente et attentive à ce serment, elle remarqua tes paroles, et sembla, par un signe de tête, approuver ce que tu disais.

Tu diras que je t’ai abusée par un artifice ; j’y consens, pourvu que cette fraude soit attribuée à l’amour. Quel était le but de ma ruse, sinon de m’unir à toi seule ? Ce dont tu te plains doit être mon excuse à tes yeux. Ni la nature

  1. Héro, comme l’on sait, ne manqua pas à sa parole quand, du haut de la tour où elle l’attendait, elle eut aperçu le corps inanimé de Léandre, porté par les flots contre les rochers voisins. (Musée, v. 338.)
  2. Aconce, se trouvant à Délos pendant les fêtes de Diane, était soudainement devenu amoureux de Cydippe qu’il avait aperçue dans le temple de cette déesse. Il fait aussitôt rouler jusqu’aux pieds de la jeune fille une pomme, sur laquelle étaient écrits ces mots : "Je jure par Diane, Aconce, de n’être jamais qu’à toi."Une loi particulière à ce temple rendait obligatoire tout ce qui était dit dans son enceinte. Cydippe relève le fruit, et en lisant le serment prononce celui qui la lie pour jamais à Aconce. Quelque temps après Cydippe est demandée en mariage, et promise à un autre par son père, qui ignorait cette circonstance ; mais au moment dc la célébration, elle est surprise par une fièvre violente, et chaque fois qu’on prépare cet hymen, les mêmes symptômes se manifestent. Aconce lui écrit pour lui rappeler son serment, et l’avertir que sa maladie est une punition de son parjure. Burmann et Ruhnkenius prétendent que cette épître et la réponse ne sont pas d’Ovide ; Scaliger, de son côté, les attribue à Sabinus, contemporain et ami d’Ovide, et auteur de trois héroïdes souvent imprimées à la suite de celles d’Ovide, mais comme ces deux épîtres passent encore, au jugement du plus grand nombre, pour l’œuvre de notre poète, nous les avons traduites et admises dans cette collection.
  3. Nous avons adopté ici, en admettant deux vers omis par quelques éditeurs, une leçon qui réunit en sa faveur le plus d’autorités (éd. Vine. Cos Mic. et Bersm.). Ce distique fut trouvé dans un vieux et presque indéchiffrable manuscrit, par Ant. Volscus, qui le donna dans son édition de 1481.