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Ce sont ou les affaires publiques qui vous retiennent, ou les prix disputés par de souples lutteurs ; ou bien vous dressez un coursier docile au frein. Tantôt vous prenez l’oiseau au lacet, et le poisson à l’hameçon ; et vous noyez les heures du soir dans un vin généreux.

Privée de ces distractions, le feu qui me consume fût-il moins vif, il ne me reste plus qu’à aimer. Je fais ce qui me reste, et j’ai pour toi, ô mon unique volupté, plus d’amour même que tu ne pourrais m’en rendre. Ou je m’entretiens de toi tout bas avec ma chère nourrice, et m’étonne du motif qui diffère ton départ ; ou, promenant mes regards sur la mer, je gourmande, presque dans les mêmes termes que toi[1], les flots qu’agite un vent odieux. Ou bien, quand l’onde courroucée a un peu ralenti sa fureur, je me plains que, pouvant venir, tu ne le veux cependant point. Et pendant que je profère ces plaintes, les yeux de ton amante se mouillent de larmes, qu’essuie le doigt tremblant de ma vieille confidente. Souvent je regarde si tes pas sont marqués sur le rivage, comme si le sable conservait les traces qui s’y imprimèrent. Pour m’enquérir de toi ou pour t’écrire, je demande s’il est venu quelqu’un d’Abydos ou si quelqu’un s’y rend. Te dirai-je combien de baisers je donne aux vêtements que tu quittes, quand tu te prépares à traverser les ondes de Hellespont ?

Dès que ta lumière a disparu, et que le retour désiré de la nuit[2] a montré dans leur éclat les astres qui succèdent au jour, je me hâte de placer au sommet de la tour le vigilant fanal, dont la clarté doit guider ta route accoutumée. Déroulant alors la trame du fuseau mobile, nous charmons, par ces occupations de femme, les ennuis de l’attente. Veux-tu savoir le sujet de mes entretiens pendant un temps aussi long ? Je n’ai à la bouche que le nom de Léandre. "Penses-tu donc, nourrice, que mon bonheur ait déjà quitté la maison, ou bien y veille-t-on encore, et craint-il ses parents ? Penses-tu qu’il dépouille déjà ses vêtements, que les dons onctueux de Pallas aient déjà coulé sur ses membres ? ", Celle-ci fait presque un signe affirmatif ; non qu’elle se soucie de mes baisers ; mais c’est que le sommeil surprend et fait hocher sa tête vieillie. Après quelques instants de silence : "Il s’avance certainement déjà, lui dis-je, et ses bras s’agitent lentement dans les ondes qu’ils divisent." Puis, quand j’ai fait quelques points sur ma toile que j’ai reprise, je demande si tu peux être au milieu de ton voyage. Tantôt je regarde au loin ; tantôt, d’une voix timide, je prie les dieux de t’accorder un vent qui rende ton trajet facile. Quelquefois je prête aux voix lointaines une oreille avide ; et le moindre bruit de pas qui approchent, je crois que c’est celui des tiens.

Après avoir passé dans ces illusions la plus grande partie de la nuit, le sommeil vient furtivement

  1. Voyez les vers 139 et suivants de l’épître précédente.
  2. On a vu, dans la précédente épître, que c’était toujours pendant la nuit que Léandre venait visiter Héro.