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Ce fut donc Lapointe que Schérer alla trouver pour manger, comme il disait, sa pièce de dix francs avec lui, honnêteté destinée à reconnaître bien d’autres honnêtetés de ce genre. Lapointe, à l’avance informé du mariage, en était comme on pense, secrètement piqué. Ce choix faisait ressortir les avantages physiques de Schérer ; l’ex-dragon, si longtemps son subalterne, allait se trouver son égal et même son supérieur à l’égard des choses de la fortune. Schérer, qui sentit vaguement où le bât blessait son ami, fut naturellement tenté d’en tirer avantage. Il alla donc trouver Lapointe avec un certain orgueil. Celui-ci fit bonne contenance ; disons d’ailleurs qu’en dépit de sa modération, Lapointe n’était point tout à fait insensible aux douceurs d’une invitation de cette espèce.

Nos amis s’acheminèrent, à force de béquilles, vers la barrière de l’École-Militaire, où ils entrèrent à l’enseigne du Galant Hussard, dont avait fait choix Schérer en souvenir des fines gibelottes et du vin poivré dont on s’y régalait. La séance fut amicale et d’une longueur démesurée. Lapointe laissa paisiblement s’épancher la satisfaction de son ami ; on but force rasades à la santé de la future, du futur, de leurs parents, et même de leurs alliés et amis, connus ou inconnus. La pièce de dix francs fut nettement employée, plus soixante-quinze centimes pour la fille, que Lapointe tira généreusement de sa poche. Ils sortirent à neuf heures du soir, dans une union d’autant plus étroite qu’ils ne pouvaient marcher qu’en s’étayant l’un l’autre à l’aide de leurs appuis, ce qui donnait dans l’ombre, à leur groupe, la vague apparence d’une trirème, ou autrement dit d’une galiote à six rames.