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suffire à la solennité du jour, s’en alla trouver son ami Lapointe, ex-caporal au 4e d’artillerie et son commensal à l’Hôtel.

Si Schérer avait dans sa division de nombreux ennemis, comme il s’en plaignait sans cesse, il y comptait du moins un ami, chose rare aux Invalides pour diverses raisons que je n’ai pas le temps d’expliquer. Le lecteur les devinera s’il connaît les faiblesses de l’âge avancé, et s’il se figure surtout des vieillards sans philosophie, sans lettres, et d’une éducation militairement négligée, tels que des invalides. L’égoïsme est sans pudeur parmi de telles gens, et l’égoïsme est le père de la discorde.

La liaison de Lapointe et de Schérer, quoique méritoire, se ressentait, elle-même, des influences du lieu. Elle remontait à la chute de l’Empire, où ils s’étaient rencontrés, blessés tous deux, dans le même hôpital, ils n’avaient fait depuis que renouer à l’Hôtel ; d’ailleurs une certaine attraction les unissait de préférence entre leurs compagnons. Lapointe avait sur Schérer plusieurs sortes de supériorité, que Schérer lui abandonnait volontiers, attendu que Lapointe, le plus souvent, payait à boire. Une vieille sœur qu’il avait subvenait tous les mois à ses petites dépenses. En outre, Lapointe avait de la lecture, il raisonnait volontiers et conservait sa tête au cabaret. Schérer, au contraire, perdant tout sentiment, semblait un auditeur d’autant plus bénévole qu’il ronflait, ou repassait en sa tête cette idée conciliante que son ami paierait ; et cette idée avait assez de pouvoir, au milieu des libations les plus copieuses, pour lui laisser la force mécanique de faire un signe d’assentiment de temps à autre. Cette ignorance de