Page:Ourliac - Nouvelles.djvu/351

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et pâle, sa moustache brune, son large front penché sur la table me représentait un portrait de vieux maître. On eût dit le Faust allemand livré, dans son laboratoire, à ses plus hautes spéculations. Mais le capitaine, dans cette méditation profonde, n’était occupé pour l’instant qu’à disposer, selon les règles d’une composition savante, les pièces démontées d’un paysage en relief ; de petits morceaux de bois carrés, peints de rouge et de blanc, figuraient des maisons à toits de tuiles, qu’il venait de grouper en manière de hameau. On s’y rendait par des avenues de petits arbres à feuillage frisé, d’un vert tendre, de forme conique et parfaitement régulière.

Sous ces ombrages, le capitaine avait éparpillé, dans un charmant désordre, un troupeau de petits moutons blancs qui broutaient l’herbe menue ; deux chiens surveillaient les traînards, et le berger, la houlette au poing, promenait sur l’ensemble le regard du maître. Les maisons auraient paru dans une perspective sans bornes ; on eût vu suspendues aux feuillages les gouttes de la rosée matinale ; les moutons eussent bondi dans une prairie à perte de vue, et tout le paysage aurait pris ses proportions naturelles, que l’œil charmé du capitaine ne s’y serait pas promené avec plus de complaisance ; il s’en écartait de temps en temps et semblait chercher, la tête penchée, si tel arbre n’aurait pas mieux fait sur tel point du tableau, où il le replantait aussitôt.

Les transports d’une démence furieuse ne m’auraient pas plus profondément ému que cette folie tranquille et cet égarement puéril du malheureux capitaine au milieu de ses jouets ; car la table, le bureau et la cheminée étaient