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Vous dire, mon bon monsieur, quel crédit on m’accorde dans ce monde et dans l’autre, cela est si extravagant qu’on ne saurait dire où cela s’arrête. Et si j’avais le moindre pouvoir, je commencerais par empêcher qu’on me hue aux quatre coins du monde et qu’on ne fasse peur de moi aux petits enfants ; car, vous le savez aussi bien que moi, mon cher monsieur, il n’est point d’injures ni de malédictions où mon nom ne se trouve mêlé. Il n’est point de charretier en colère qui ne s’en prenne à moi, s’il parle à ses chiens ou à ses chevaux. À tout propos on m’interpelle, on m’apostrophe, on m’accuse, on me prend à témoin dans les cas désespérés, et l’on me somme, avec une dérision particulièrement insultante, d’emporter tout ce qu’il y a dans le monde de mauvais, de maussade, d’ennuyeux et de maladroit.

Il n’est point de faiblesse, de faute, de crime dont on ne me charge. Si un homme forfait à l’honneur, si une femme déshonore sa famille, si le domestique trahit son maître, si les époux se trompent, si des butors font de mauvais livres, si le citoyen assassine son roi, si les ministres assassinent le peuple, si les magistrats prévariquent, si les marchands volent, on dit que je les ai tentés : cela est si commode ! Mais n’en croyez rien, monsieur, et comptez seulement que les hommes sont bien mauvais. Le domaine du mal s’est tellement agrandi sur la terre qu’il a fallu lui trouver un intendant, un gérant responsable, et c’est moi qu’on a choisi.

En l’écoutant parler, et surtout en ajoutant mes propres réflexions à ses paroles, je ne pus retenir plus longtemps cette détestable plaisanterie qui m’était venue naturelle-