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Je réserve donc ma rencontre pour un autre endroit ; faites-m’en souvenir : c’est l’histoire d’une femme, d’un soldat et d’un ouvrier en casquette de peau de loutre, préconçue et rétablie à grand renfort d’inductions, comme un monstre fossile, d’après leur allure et leur contenance respectives, en passant à neuf heures et demie sur les boulevards. Car, pour dire toute la vérité, je ne fis que les entrevoir en passant. Ils allaient d’un côté et j’allais de l’autre.

Le soir je trouvai sur ma table de nuit, en rentrant, une liasse de vieux journaux froissés et crasseux, mais soigneusement repliés et rangés par ordre de dates.

J’allais jeter ces chiffons où il convenait, quand je me rappelai fort à propos la conversation que j’avais eue la veille avec M. Blondel, homme estimable, déjà mûr, encore garçon, qui mange en paix son petit revenu et qui m’honore de son amitié.

Il me dit tout à coup, je ne sais à quel sujet :

— Avez-vous lu le… ?

Il cita le titre d’un roman publié en guise de feuilletons et qui faisait fureur. Je répondis que non, comme il est vrai.

Il se fit dans la physionomie de cet honnête homme un changement que je renonce à peindre et dont je ne puis rien dire, sinon qu’il marquait le plus vif, le plus prompt, le plus compatissant étonnement.

Les sourcils, chassant devant eux les plis du front, remontèrent jusqu’à la racine de ses cheveux, sa bouche quitta la ligne horizontale pour la perpendiculaire, son cou s’allongea, son nez prit je ne sais quelle forme plus