Page:Ourliac - Nouvelles.djvu/282

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bientôt les cuivres s’enflèrent ; les tambours grondaient ; les cymbales bruissaient d’impatience ; les violons, pressés, bredouillaient ; tous les sons de l’orchestre se fondirent en une même clameur, et le crescendo formidable éclata par un grand coup de timbale.

Maître Stranz était en eau. Sa baguette voltigeait dans l’espace. Sa perruque furieuse battait le pupitre à grands coups d’aile. Sa figure en feu disparaissait dans le rayonnement de sa bougie, et l’on n’y distinguait que l’éclair humide du blanc de l’œil.

Les lunettes du premier violon lui tremblaient sur le nez. L’alto mélancolique louchait en s’écoutant. Le trombone poussait sa bouche jusqu’à l’oreille. Le basson farouche soufflait sans miséricorde. Les basses s’abîmaient en contorsions désespérées, et l’auditoire suffoquait d’attendrissement.

— Dieu ! que cela est beau ! — Que cela est touchant ! — Quelle expression ! — Quelle ivresse ! — Quelle exactitude ! l’on n’y tient pas ! — Je me meurs !

La caisse se disloquait les bras, le violoncelle s’égratignait les jambes, le cor écumait, la clarinette touchait à l’apoplexie ; tout l’orchestre suait, limait, frottait, soufflait, raclait, et l’on se pâmait d’aise, on se renversait, on levait les yeux au ciel, on essuyait des larmes.

Ciel ! cette phrase ! — Dieu ! cet accompagnement ! — Quelle peinture ! — Quelle passion ! — Vous comprenez ! — Vous devinez ? — Certes ! On serait trop coupable. — Comme cela est dit ! — Comme cela est peint ! — On voit, on sent, on touche la scène !

Le morceau finit par une longue et grave expiration