Page:Ourliac - Nouvelles.djvu/281

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les exécutants étaient à leur poste, tout accordés, tout prêts, l’archet en main et leurs cahiers sous le nez. Après nous avoir fait attendre un bon quart d’heure, maître Stranz parut enfin et salua.

Tout le monde savait son défi, et l’on s’entretenait à voix basse. On ne doutait point, après ce que l’on connaissait de lui, que cette expérience ne réussît, et l’on s’apprêtait à étudier jusqu’au moindre trait l’intention et le caractère du morceau.

Maître Stranz frappa de sa baguette d’ébène sur un pupitre, et, à un signe de tête du prince, il déploya le bras.

Un large accord s’étendit d’abord dans la salle et s’éteignit doucement, laissant gémir les cors.

C’était une harmonie pénétrante, qui saisissait tout à coup et enlevait le souffle. Les nerfs grinçaient comme sous l’archet, et un frisson parcourait tout le corps. Puis, le vent du premier tutti repassa gravement sur l’orchestre et courba l’auditoire.

Alors les violoncelles commencèrent une exquise mélodie qu’achevaient en écho les flûtes plaintives, l’alto criait amoureusement, et des frémissements de harpe lui répondaient d’en haut comme des chœurs séraphiques. Les trompettes soupiraient par intervalles. Un accord éveillait mille accords, comme des oiseaux cachés sous les feuilles. Les phrases inattendues et lumineuses s’épanouissaient en fusées. Les basses bourdonnantes protégeaient toutes ces voix sans les étouffer, et le fifre aigu serpentait en gazouillant à travers ce réseau d’harmonie, comme un rossignol qui sautille de branche en branche.