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Maître Stranz est mon maître de chapelle, un trésor de mélodies, un homme divin qui a bien voulu s’enterrer avec moi et son génie, dans ces quelques centaines de pieds de mur d’enceinte. Il est vrai que je le paye bien. Il ne serait pas mieux maître de chapelle à Berlin. Il a ici un orchestre excellent, un auditoire choisi, une prépondérance sans rivale. Il ne lui manque qu’une chapelle, hélas ! mais je la ferai construire derrière ma galerie. L’emplacement est tout prêt. En attendant, nous l’écoutons pieusement sur la terrasse quand il fait beau, et ce sont là, je vous jure, de délicieuses soirées. Vous l’entendrez ce soir. Je me suis arrangé pour cela, car il s’inquiète beaucoup d’un nouvel auditeur. Le voici ! silence.

M. Stranz était un homme d’une cinquantaine d’années, court, enflé, le visage ardent avec de gros yeux fort vifs. Il avait conservé la grande perruque poudrée à blanc, et portait une épée au côté. Une culotte et des bas de soie dessinaient ses jambes épaisses et toutes déformées.

Le prince le traitait avec déférence et l’appelait maître en lui parlant.

M. Stranz écoutait d’un air de grande confiance. On eût dit qu’il était le prince.

— Êtes-vous musicien ? me demanda-t-il brusquement.

— Ce n’est pas devant vous, répondis-je en m’inclinant, que j’oserais répondre à cette question. J’avouerai seulement que beaucoup d’airs, depuis mon enfance, sont restés dans ma tête, cousus à d’étranges souvenirs, et qu’à certaines heures de rêverie et de promenade, il me vient à la bouche des chants que je compose ou que je me rappelle et qui me font pleurer.