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À peine rétablie, elle retourna chez elle, pâle, exténuée, sans ressources. Ce fut ce moment d’une étrange extrémité que la fortune choisit pour lui sourire. Paris offre souvent de pareilles métamorphoses aux observateurs qui connaissent les mœurs de cette ville. Vous avez vu vingt fois sur le boulevard élégant cette femme bien connue, qui traîne autour d’elle un amas d’étoffes précieuses et qui marche avec tant d’effronterie, triomphante, superbe, attirant tous les regards ? Elle a disparu depuis quelques mois, nul ne sait ce qu’elle est devenue ; regardez aujourd’hui, dans cette rue obscure, par ce brouillard et cette froide nuit d’hiver qui tombe ; voyez-vous cette créature suspecte qui longe les murs en se hâtant ; un bas souillé roule sur ses talons, et la semelle de ses savates bat le pavé fangeux ! ce voile flétri et ce châle informe, et cette robe fripée servant à la cacher plutôt qu’à la vêtir ; elle n’a plus maintenant, ni fard, ni parfums, ni faux cheveux hardiment mêlés aux siens ; ses joues sont creuses, ses yeux caves, et quelques mèches de sa chevelure appauvrie traînent en désordre sur son visage livide ; c’est elle-même, c’est Phryné dans toute sa ruine, après la rude atteinte de quelques malheurs inconnus. Qui sait, ou qui oserait dire ce qui lui est arrivé ? Vous passez en soupirant, vous plaignez cette splendeur éclipsée et cette pauvre femme qui va mourir ; mais le temps se passe, vous la retrouvez et vous avez peine à la reconnaître. La fraîcheur refleurit sur ses joues, un feu superbe s’est rallumé dans ses yeux, ses bijoux étincellent et l’air demeure parfumé sur son passage, au milieu des femmes envieuses qui se retournent et des passants qui s’étonnent.