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— Faut-il donc verser nos vins blancs dans la mare, arroser nos choux avec nos jattes de crème, ou voulez-vous jeter par la fenêtre nos belles tranches de jambon frit ?

— Je n’ai pas dit cela, frère Paul.

— Et, s’il faut en parler, votre lit, que voilà, n’est-il pas mollet et bien chaud quand vous y entrez, après souper, par une grosse bise qui souffle dehors ?

— Brrrr ! fit l’oncle Scipion en se frottant les mains ; il y fait bien bon.

— Hé donc ! si vous avez bon gîte, bon couvert, bonne table, que faut-il de plus à un honnête homme ?

— Tu as raison, mon ami, après toutefois que les besoins de l’âme sont satisfaits.

— Corne de bouc ! s’écria frère Paul par entraînement oratoire ; bien manger, bien dormir et bien boire, je les défie de rien inventer, hors de là, qui ait le sens commun.

— Tu n’en sais rien, mon ami ; tu n’as pas voyagé, tu ne sais où peut aller le luxe.

— Le luxe ! dit frère Paul intimidé, qu’est-ce que cela ?

— C’est… ce sont… là… ce sont des… comment dirai-je ? ce sont les choses dont on n’a pas besoin.

Frère Paul fit un saut.

— Sauf votre respect, notre oncle, la belle chienne de raison ! Et à quoi cela sert-il, si l’on n’en a pas besoin ?

L’oncle Scipion, se voyant repoussé, baissa la tête et sentit la nécessité de porter l’escarmouche sur un autre point.

— Et ce cher neveu, qui a si grande envie de me voir et qui me le dit si joliment, crois-tu donc que je n’aurais pas aussi grand plaisir à le serrer dans mes bras ?