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L’ONCLE SCIPION


Il y avait tout dernièrement un M. Scipion, jadis gros négociant de la rue aux Ours, à Paris, qui vivait, depuis cinquante-deux ans, au fond d’une vallée des Alpes de Savoie, derrière le Mont-Blanc, et voici pourquoi :

M. Scipion, dans sa jeunesse, avait fort goûté les livres de Jean-Jacques ; il s’honorait d’avoir envoyé un quatrain à Ferney, à quoi Voltaire répondit par une demi-page de moqueries. Cet encouragement échauffa la tête du jeune philosophe ; mais, dès qu’on fit mine de la lui couper en 1793, il se sentit tellement ébranlé dans ses opinions qu’il courut tout d’une haleine à Genève, et de Genève au milieu des Alpes, s’y croyant à peine à l’abri des grandes libertés qu’on prenait alors.

Il trouva dans cette vallée dix bergers et cent vaches qui portaient le joug du roi de Sardaigne, mais qui, vivant d’ordinaire à douze mille et tant de toises au-dessus du niveau de la mer, ne savaient ce que c’était que la maréchaussée. On ne demanda point à Scipion pourquoi il avait